Cette année, nous célébrons le centenaire de la « Déclaration de Genève », texte reconnaissant pour la première fois des droits spécifiques aux enfants et la responsabilité des adultes envers eux. Rédigée en 1924 par Eglantyne Jebb, fondatrice de « Save the Children », et influencée par la Première Guerre Mondiale, cette déclaration résulte de la prise de conscience de l’importance de garantir une protection particulière aux enfants.
En cinq articles, la « Déclaration de Genève » aborde les droits fondamentaux des enfants. Ce texte, bien que fondateur, illustre la vision paternaliste de l’époque à l’égard des enfants. Ainsi, cent ans après, il est essentiel de remettre les enfants au centre de cette Déclaration, en lien avec leurs réalités et leurs préoccupations. Reconnaissant les enfants comme de véritables actrices et acteurs de changement, Terre des Hommes Suisse célèbre ce centenaire à travers deux projets interconnectés : la réécriture des articles de la Déclaration par des enfants de Suisse et de ses pays partenaires et la Conférence romande des enfants qui aura lieu en novembre 2024 en collaboration avec le Théâtre Am Stram Gram dans le cadre de leur Agora sur les droits de l’enfant.
Ce projet de réécriture a mobilisé les enfants délégués de la Conférence romande 2023 et leurs camarades de classe à travers des ateliers de sensibilisation et de réécriture pour aboutir à la création d’une nouvelle déclaration, leur déclaration.
Découvrez les réflexions des élèves genevois de l’école des Cropettes dans un récit de notre collègue Mélanie Anzalone qui retrace l’aboutissement de leur travail de réécriture de la « Déclaration de Genève ».
Premiers pas dans la « Déclaration de Genève »
Le 22 mars 2024, Deborah, Chargée de Programme et moi, Mélanie, Assistante au Programme Suisse chez Terre des Hommes Suisse, retrouvons les anciens délégués de la Conférence romande des enfants 2023 et leurs camarades dans leur classe de l’école des Cropettes à Genève pour une tâche ambitieuse : réécrire la « Déclaration de Genève ». Ce projet n’est pas un exercice académique, il s’agit plutôt d’une immersion profonde dans les réalités auxquelles ces enfants sont confrontés face au respect de leurs droits. Après des semaines de préparation, l’excitation est à son comble alors que nous nous apprêtons à lancer le projet dans leur classe. Impatientes de retrouver les élèves, nous sommes fin prêtes, matériel d’animation en main. C’est ainsi que débuta la première phase de réécriture.
Ce jour-là, les enfants se sont réunis pour se plonger dans une aventure intellectuelle et participative, marquée par une exploration captivante de leurs droits. L’animation a débuté par une réflexion collective sur les droits de l’enfant, avec un retour sur leur importance et leur évolution historique. Les yeux se sont ouverts avec la présentation d’Eglantyne Jebb, la pionnière des droits de l’enfant, dont la vidéo explicative a révélé son rôle crucial et son impact durable. Cette introduction a servi de prélude à une discussion plus large sur la fameuse « Déclaration de Genève ». Les enfants ont eu l’occasion de comparer cette dernière à la Convention internationale des droits de l’enfant.
Ce parallèle a dévoilé des contrastes frappants : alors que la Déclaration originelle de 1924 se concentrait sur des aspects fondamentaux comme la santé et la protection, la Convention de 1989 élargit le champ aux droits à l’éducation, à la protection contre l’exploitation et à la participation. Comme l’a fait remarquer un jeune participant, « les anciens droits étaient faits par les adultes et pas par les enfants ». Un autre a ajouté avec conviction : « avant, y avait pas assez de droits pour les enfants ! ». En mettant en lumière les changements des conditions de vie des enfants au cours du siècle écoulé, le débat a pris une tournure éclairante : les jeunes participants ont pris conscience des évolutions significatives sur la mise en œuvre de leurs droits. Ces discussions ont souligné la nécessité de réécrire une déclaration qui reflète pleinement les enjeux d’aujourd’hui. Le projet s’est ainsi affirmé comme un effort participatif, avec pour objectif de replacer les enfants au cœur de la Déclaration.
Les jeunes participants, âgés de 10 à 12 ans, assis en petits groupes dans une salle baignée de lumière, sont invités à réfléchir sur les défis actuels qui menacent leurs droits, une tâche aussi audacieuse qu’inspirante. Répartis en cinq groupes, chaque équipe d’élèves s’est penchée sur une problématique différente des droits de l’enfant, avec pour mission d’écrire un article destiné à figurer dans la nouvelle déclaration. Un sixième groupe s’est vu confier la rédaction du préambule, pour poser les bases de leur document. « Pour réécrire cette déclaration, il faut d’abord identifier ce qui ne va pas », explique Deborah. Ce simple précepte guide tout le processus de réflexion : chaque problématique identifiée doit mener à un défi et chaque défi à une solution, ou comme nous l’avons appelé : une demande. Chaque demande constituera un article de leur nouvelle déclaration.
Cap vers de nouvelles réflexions
Le premier sujet évoqué est la guerre, une réalité brutale pour trop d’enfants dans le monde. « Nous on joue à la guerre, mais c’est pour rigoler, certains c’est pour de vrai », remarque un garçon de la classe. Ensemble, ils décrivent les défis : l’accès à l’éducation est restreint, les soins médicaux deviennent un luxe, l’alimentation est souvent insuffisante, et le droit à la protection est tout simplement ignoré. Les enfants sont unanimes : il est urgent de mieux protéger ceux qui se retrouvent pris au piège des conflits. De cette réflexion naît un article qui demande expressément que des mesures concrètes soient mises en place pour assurer la sécurité et le bien-être des enfants en temps de guerre. La discussion se déplace ensuite vers un autre fléau : la discrimination.
Dans cette vidéo, des élèves du primaire du canton de Vaud après les ateliers de réécriture de la Déclaration de Genève
Le groupe partage des témoignages poignants sur la honte de ses origines ou de son sexe. « On ne se sent pas bien » murmure une voix, « et parfois, ça peut mener au suicide ». Les enfants comprennent que les effets négatifs de la discrimination ne se limitent pas à l’enfance, ils peuvent hanter une personne tout au long de sa vie, affectant son adolescence et sa vie d’adulte. Ils notent également le lien direct entre racisme et harcèlement, particulièrement présent dans leur quotidien : « les enfants harcelés osent pas le dire, c’est la honte ».
Cette prise de conscience les pousse à formuler un article clair : sensibiliser pour prévenir la discrimination et accepter les autres avec leurs différences, afin de créer un environnement où chaque enfant peut grandir sans craindre d’être lui-même. Le harcèlement, et plus spécifiquement le cyberharcèlement, émerge des discussions comme un autre problème crucial. « Derrière un écran, on ose plus de choses », explique un enfant. Le groupe liste les effets néfastes : la perte de la vie privée, l’impact sur l’image de soi, et la peur d’aller à l’école. « On a peur de donner son avis », confie l’un deux, soulignant à quel point l’intimidation virtuelle peut détruire l’estime de soi. Les enfants s’accordent sur une solution : que les adultes reconnaissent et combattent le harcèlement sous toutes ses formes pour créer un cadre scolaire sûr et bienveillant pour tous afin de réduire les impacts sur la santé mentale. Les enfants réfugiés, souvent obligés de quitter leur pays, sont également au cœur des réflexions.
« Quitter ses repères, c’est dur », dit une élève. Les défis sont nombreux selon les élèves des Cropettes : barrière de la langue, perturbation identitaire et traumatismes de la guerre. Les élèves expriment le besoin d’aide, de compréhension et surtout d’un accueil digne pour les enfants réfugiés. Leur demande est simple : un soutien actif pour aider les jeunes réfugiés à se reconstruire et à trouver leur place dans un nouveau monde pour une meilleure enfance. Enfin, un groupe se penche sur une cinquième problématique relative à la protection de l’environnement, un sujet qui nous concerne tous. Le gaspillage alimentaire, la pollution de l’air et de l’eau et la fonte des glaciers sont autant de préoccupations qui ressortent. « Il fait trop chaud » dit un élève, évoquant le changement climatique qui menace l’avenir de notre planète. Les élèves insistent donc sur l’urgence d’agir : il est temps de changer nos comportements pour préserver la planète, non seulement pour eux, mais aussi pour les générations futures.
L’accomplissement d’un projet...
Le 28 mars 2024, les différents groupes ont présenté leurs articles à leurs pairs lors d’une autre séance d’animation, marquant la deuxième phase du projet. Ce moment de validation collective a été crucial : chaque mot, chaque phrase a été pesé et approuvé par l’ensemble de la classe. « On se dit que ces lois, elles vont rester donc il ne faut pas qu’on se loupe », explique une élève, révélant l’implication avec laquelle ils ont abordé ce projet. Avec l’accord de tous, leur nouvelle déclaration a ensuite été rédigé au propre et signée au nom « des élèves de la classe d’Emmanuelle K. », marquant ainsi leur engagement. Cet acte symbolique a renforcé leur sentiment de responsabilité et de participation active dans la défense de leurs droits. A la fin de l’animation, un élève se confie : « c’était compliqué de trouver de quoi on allait vraiment parler, parce qu’il y a tellement de choses qui ne sont pas respectées ».
Le 7 mai 2024 l’aventure s’est prolongée pour la troisième et dernière phase du projet. Durant plusieurs jours précédents cette date, les élèves ont mené une réflexion cherchant à traduire de manière artistique l’essence même de leur nouvelle déclaration. Leurs discussions ont donné naissance à une idée audacieuse de restitution artistique : des sculptures qui incarneraient les principes rédigés. Ce projet artistique, fruit de leur engagement collectif que les élèves nous ont présenté le 7 mai, représente les valeurs et les idéaux gravés dans leur déclaration. Le résultat de leurs efforts sera visible pour le grand public à Genève. Deux expositions sont prévues : l’une se tiendra au Quai Wilson durant tout le mois d’octobre et l’autre au Théâtre Am Stram Gram, de septembre à décembre. Ces expositions offriront une vitrine unique aux travaux des élèves, célébrant leur engagement et leur créativité.
... mais le début d’un long chemin
« Il faut croire les enfants, croire en leur pouvoir, car même s’ils sont plus petits, ils peuvent changer le monde », a affirmé une élève avec détermination. L’engagement de ces enfants va bien au-delà de la réécriture d’un texte historique. Ils ont pris à cœur la responsabilité de repenser un document fondateur pour leurs droits, avec la volonté farouche de faire entendre leur voix face aux défis actuels. A travers cette expérience, ces jeunes n’ont pas seulement réécrit une déclaration, ils ont démontré qu’ils possèdent véritablement le pouvoir de transformer notre société.