Haïti: engagement sans faille

Depuis plus de 28 ans en Haïti, Terre des Hommes Suisse protège des enfants parmi les plus vulnérables, leur redonne dignité et avenir.

«Fleurs de cactus dans l’aridité»

J’ai entendu avec tristesse plusieurs personnes s’exclamer: «Mais ils sont encore sous les tentes!» Ils, c’est nous, les habitants de l’autre rive, à l’extrême sud du Sud. Eh bien oui, nous sommes encore sous les tentes… Et nous avons appris, le grain de sel sous la langue, à garder notre cri dans la poitrine.

On a quand même libéré la plupart des places publiques et transporté les cabanes aux limites de la ville. Cela fait comme une immense écharpe bariolée autour de Port-au- Prince, quand on regarde de loin, derrière ces caméras qui nous survolent à chaque instant.

De l’intérieur en revanche, au milieu de la fournaise, difficile d’avoir cette vue d’ensemble. Il faut surtout bien regarder où l’on met les pieds car tout est mouvant et glissant dans le paysage alentour. Il y a des patrouilles qui sillonnent lentement les rues encombrées et des gardes plantés devant chaque édifice. Où que l’on aille, on est toujours dans la ligne de mire d’une arme ou devant un canon. Ils ont des uniformes différents et parlent toutes sortes de langues. Ce sont des délégués de tous les pays de la Terre. Ils sont venus, dit-on, pour nous aider au cas où il y aurait des discussions entre nous qui pourraient nous amener à en venir aux mains.

Très important, en effet, cette précaution. Evidemment, cela coûte cher, très cher même… plus de 85% des millions de la reconstruction et en prime le choléra qui tue 10’000 personnes par an.

Des couleurs sur le visage de la misère

La vie au quotidien dans l’Haïti d’aujourd’hui est un pari chaque jour recommencé contre tout ce qui érode progressivement notre capacité à survivre. Manger un jour sur deux, abattre du travail pour quatre quand il y en a cinquante qui en attendent dans la file, seulement un enfant sur trois à l’école, un pain baguette au même prix qu’à Genève, aller chercher l’eau par décilitre sous le soleil tapant, des mômes blottis, menus, sous les camions dans la ville en torrents, dix kilomètres à pied par jour pour gagner 3 francs suisses et puis… beaucoup de gens, vraiment beaucoup, près de 3 millions semble-t-il, dans cette capitale où rien n’a l’air d’avoir une place qui lui est réservée.

Petites fleurs de cactus dans cette aridité, Terre des Hommes Suisse et ses partenaires haïtiens s’évertuent à peindre quelques couleurs sur le visage de la misère. Cela n’a l’air de rien, vu de Suisse ou d’ailleurs. Mais c’est quand même un peu de joie, de formation, d’autonomie ou de justice pour 8000 personnes chaque jour.

Notre action s’articule autour d’un axe principal: la réhabilitation des enfants et des jeunes les plus vulnérables. Chacun de nos partenaires est une association engagée de longue date dans la promotion, la protection et la défense de ces exclus du droit, dans une société où la flibuste règne au triple plan politique, économique et environnemental.

Aider des acteurs de la société civile haïtienne à retrouver leurs capacités opérationnelles, sensibiliser et former sur la situation des restaveks, prendre en charge des fillettes abusées sexuellement, recréer à partir de zéro des espaces de vie pour les enfants, permettre à des jeunes d’acquérir une formation professionnelle, poursuivre en justice des violeurs, donner un verre de lait chaque matin à l’enfant qui a marché deux heures pour venir à l’école, préparer la saison cyclonique. Mille petits riens chaque jour recommencés…

Survivre!

Survivre et marquer la différence. Nous ne sommes ni des développeurs, ni des humanitaires. Nous essayons simplement de redonner son sens initial au mot coopérer, hors de tout paternalisme arrogant et de toute pitié condescendante. Nous sommes là pour témoigner de l’importance de la solidarité, pour veiller sur cette flamme qui ne doit pas s’éteindre, pour dire: «oui, nous sommes humains car nous avons su voir en l’autre un autre nous-mêmes». Je tends la main à toutes celles et ceux qui, avec nous, diront: «Je m’engage aujourd’hui!»

Par Guerty Aimé, coordinatrice des programmes Terre des Hommes Suisse en Haïti. Extrait du journal TdH N°107, août 2012