Projet pilote dans une région d’extraction d’or

En Amazonie péruvienne, des communautés d’orpailleurs cherchent à formaliser leur activité pour mieux respecter l’environnement et améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs enfants.

En Amazonie péruvienne, des communautés d’orpailleurs cherchent à formaliser leur activité pour mieux respecter l’environnement et améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs enfants. Ou l’histoire d’une collaboration avec une Haute Ecole en Suisse.

Sur les berges du Rio Madre de Dios, 7 h du matin. Un long trajet en pirogue nous amène jusqu’au territoire de Boca Inambari. Ici, la communauté d’Indiens Harakmbut a offert à des «invités» – tels qu’ils les nomment, des chercheurs d’or venus d’ailleurs – le droit d’exploiter le sable aurifère de leur terre contre « dédommagements». «Nous avons besoin de ces revenus pour nous occuper de nos aînés», nous explique José, président de l’assemblée de la communauté.

Un bruit obsédant accompagne notre arrivée. Il vient du moteur 124 CV de la pompe à eau qui nous accueille sur la rive. Nous traversons le campement bien organisé des «invités».

D’une marmite sur un feu de bois s’échappent des odeurs alléchantes. Puis, au sortir du camp, les marécages artificiels. La terre mise à nu. Plus loin, une immense montagne de gravats cache l’étendue du désastre. Le bruit s’intensifie. C’est maintenant un concert de moteurs. Et un trou béant, immense. On y aperçoit des hommes s’activer au fond, comme des fourmis. Plus loin, des fumées indiquent qu’on brûle les arbres pour achever le massacre. José nous amène dans l’un des sites abandonnés par les « invités » et nous montre sa petite installation.

«On essaie de récupérer derrière… il reste toujours un peu d’or… et puis comme ça, on remplit le trou.» José nous montre un petit tas de graviers, vestige de leurs journées d’exploitation. Il regarde ses terres tristement et conclut: «Il faudrait le faire autrement… chercher des améliorations.» Ce discours, nous l’avons entendu à chacune de nos rencontres. Qu’ils soient natifs ou installés depuis des générations à Madre de Dios, ces femmes et ces hommes ont en commun d’exploiter l’or de leur terre et d’en vivre depuis des décennies. Ils veulent donc être reconnus comme exploitants formels et sont prêts à revoir leurs pratiques pour cela. Mais ils souhaitent surtout être distingués de ces dizaines de milliers d’orpail – leurs «illégaux», ceux qui saccagent les zones protégées. C’est pourquoi ils se sentent désemparés face aux normes et décrets qui, dans la volonté d’éradiquer l’activité minière illégale, les transforment en «hors la loi».

La formalisation: un long chemin

Interpellées notamment par les nombreux reportages dans les médias nationaux et internationaux sur la destruction de la forêt amazonienne par l’extraction aurifère, les autorités péruviennes ont répondu de manière tranchée en adoptant un décret interdisant la poursuite des activités informelles et prohibant l’usage de toutes techniques d’extraction polluante, mais n’offrant ni appui ni altervatives concrètes.

Suite à l’entrée en vigueur du décret DL. 1100 en février 2012 et à la destruction de plusieurs installations minières par l’armée, les orpailleurs s’étaient mis en grève, bloquant les routes et tentant d’occuper l’aéroport. Après d’âpres négociations, les mineurs ont obtenu un sursis d’une année pour se mettre en règle. Une année qui semble pourtant bien courte quand on examine la liste des critères que la formalisation requiert. Les démarches administratives sont complexes, interminables et surtout très coûteuses. Elles incluent à la fois des procédures et contraintes fiscales, foncières, contractuelles (établissement de contrats d’exploitation), environnementales (réalisation d’étude d’impact), techniques et sécuritaires (obligation de déclarer et de protéger les travailleurs). L’entrée en vigueur du décret vient d’être reportée à l’automne.

Partir des besoins des orpailleurs

Grâce au projet pilote de soutien à la formalisation, Terre des Hommes Suisse et le laboratoire de recherche en anthropotechnologie de la Haute Ecole Arc Ingénierie – Edana au Locle veulent faciliter une partie des démarches en cherchant des alternatives techniques simples et adaptées aux orpailleurs. L’objectif est d’améliorer leurs pratiques d’extraction d’or en considérant les dimensions environnementales, sanitaires, économiques et sociales (voir TdH n° 106, mai 2012, également sur www.terredeshommessuisse. ch).

En collaboration avec les représentants locaux du ministère de l’Energie et des Mines et du ministère de l’Environnement, trois groupes de mineurs ont été identifiés et participent au projet depuis le début de cette année. Les Indiens Harakmterre but font partie de ceux-ci, avec deux autres groupes plus avancés dans le processus de formalisation.

Parallèlement au soutien technique, le projet pilote prévoit de développer pour les jeunes issus des communautés minières des ateliers de sensibilisation à la préservation de l’environnement, ainsi qu’à la prévention des pires formes de travail des enfants. Et en particulier deux de ses formes particulièrement répandues dans la région : l’exploitation dans les sites d’extraction minière et la prostitution.

Trois missions sont prévues en 2013 afin d’identifier, valider puis développer des solutions techniques dans le cadre d’ateliers avec les mineurs et les acteurs institutionnels locaux. Ces espaces de travail seront aussi l’occasion de valoriser les expériences des différentes communautés sur les bonnes pratiques minières.

En mai, l’équipe Edana repartira ainsi à Madre de Dios avec dans ses valises des premières pistes de solutions alternatives qu’elle présentera aux mineurs.

Encadré: améliorer le quotidien des enfants

80% des habitants du département de Madre de Dios sont des migrants souvent originaires des régions andines, poussés par la crise économique à rejoindre la forêt amazonienne riche en minéraux. Avec la récente flambée du prix de l’or, les conséquences sont dramatiques : désintégration familiale, alcoolisme, violence, destruction de la forêt amazonienne et pollution des sols et des rivières. Les enfants sont les premiers touchés, victimes de maltraitance, du travail dangereux et de prostitution.

Afin de trouver des solutions, en particulier pour les enfants, Terre des Hommes Suisse a développé une approche globale, coordonnée par notre partenaire Huarayo. Parallèlement au projet pilote d’appui à la formalisation des petits orpailleurs, Huarayo poursuit son travail de prévention des violences et maltraitances envers les enfants au travers de son réseau de defensorias (points focaux pour la défense des droits de l’enfant). Grâce à son refuge, le partenaire vient par ailleurs en aide aux jeunes victimes de traite, originaires pour la plupart des Andes et forcés de se prostituer dans les bars de Madre de Dios.

Le programme comporte aussi un autre objectif essentiel : offrir une alternative au travail minier avec l’amélioration et la diversification des revenus des communautés paysannes. Il allie ainsi des activités de sécurité alimentaire (potagers familiaux, petits élevages) à des soutiens techniques pour le développement du cacao issu d’agriculture biologique. Notre partenaire Agrobosque fait office de pionnier.

Article rédigé par Carole Baudin, professeure Haute Ecole Arc (NE). Dr en anthropologie sociale et Tanja Guggenbühl, tiré du journal Terre des Hommes Suisse n°109, mars 2013