You are currently viewing Rencontre avec de jeunes aides familiales et leurs grandes logeuses

Rencontre avec de jeunes aides familiales et leurs grandes logeuses

Parallèlement au travail d’information réalisé dans les villages concernés par l’exode rural (voir carnet de route d’hier), l’association APSEF lutte pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des aides familiales vivant à Bamako. Par le biais de causeries et d’animations, organisées un mercredi par mois dans différents quartiers de la capitale, elle sensibilise ces jeunes filles à leurs droits et leurs devoirs, aux risques qu’elles encourent sur leur lieu de travail et aux moyens existants pour dénoncer d’éventuels abus. Mais le travail de l’association est plus large encore. Consciente que les grandes logeuses (1) et les employeurs jouent un rôle-clé dans cette problématique, APSEF organise également des causeries avec ces groupes de femmes.

Travail de sensibilisation

Désireuse de mieux saisir l’épineuse question des enfants en situation de domesticité , la délégation de Terre des Hommes Suisse s’est rendue dans la commune 5 de Bamako, dans laquelle notre partenaire APSEF mène des actions de protection et de sensibilisation en faveur des aides familiales. Assis à l’ombre d’un arbre, face au petit centre de l’organisation féminine du quartier, nous avons pu nous entretenir avec les différentes partie-prenantes. Les grandes logeuses furent les premières à prendre la parole. «En tant que tanti, je me dois de considérer ces jeunes filles, qui arrivent de nos villages, comme mes propres enfants», nous précise l’une d’entre-elle. Mais rapidement, elles exposent les problèmes auxquels elles sont confrontés. Comment accueillir une ou plusieurs personnes supplémentaires alors que l’appartement, parfois constitué d’une simple pièce, suffit à peine à héberger les membres de sa propre famille ? Comment nourrir cette bouche supplémentaire lorsque les denrées contribuent tout juste à la «popote familiale» ? Dans ces conditions, impossible pour elles de garder chez soi une jeune fille au delà de quelques jours.

Causerie à Bamako.

La discussion dévie naturellement sur le placement de ces jeunes filles auprès de familles du quartier. Et là, les quelques aides familiales présentes à la causerie commence à parler de leur vécu. La dure réalité des ces gamines nous frappent de plein fouet : pas de jour de repos, natte posée à même le sol dans la cuisine pour dormir, violences et humiliation au sein du foyer, salaire pas toujours versé, nourriture insuffisante. 

Touchés par ces témoignages, nous cherchons à savoir pourquoi ces jeunes filles quittent leur famille ? «C’est à cause du trousseau de mariage» nous affirme une grande logeuse. Et de nous expliquer cette tradition malienne: afin de pouvoir se marier, une jeune femme est contrainte de disposer d’un trousseau pour aménager son foyer et celui de son futur mari. Et la tâche est ardue! En effet, un trousseau se compose traditionnellement d’ustensiles de cuisine, de vêtements, de tissus, mais également des chaises et des…meubles ! En moyen, cela équivaut à un budget de 150’000 CFA, soit environ 300 francs suisses. «Et comme la famille ne dispose pas de cette somme, ces acquisitions sont à la charge de la future mariée» précise une des animatrices d’APSEF. Seul solution pour elle: rejoindre la ville afin d’y trouver un travail d’aide familiale, et ce pour une période de deux à trois ans.

Quand mon papa est mort, j'ai du quitter l'école à contre-coeur.

En poursuivant la discussion, nous constatons que d’autres facteurs poussent les jeunes filles à l’exode rural. «Je suis arrivée hier à Bamako» nous confie Fatoumata*, peu sûre d’elle. « Si je suis là aujourd’hui, c’est parce que je ne voulais pas qu’on me marie de force dans mon village». Puis d’autres langues se délient. Les larmes aux yeux, Rosine* nous raconte son histoire. La vie dans son village, sa joie de pouvoir fréquenter le centre scolaire, sa famille. «Mais quand mon papa est mort, nous n’avions plus assez d’argent pour nourrir la famille. Ma mère m’a donc envoyé à Bamako pour faire aide ménagère. Et j’ai du quitter l’école à contre-coeur. J’avais 12 ans».

On le voit, les causes de cet exode sont multiples et reposent sur des logiques traditionnelles, mais également structurelles. «Effectivement, ce mal est profond et la situation complexe» nous lance Siné, l’une des animatrices d’APSEF. Et de poursuivre : «C’est pour cela que je suis convaincue que nous devons poursuivre notre action ici à Bamako, mais également dans les villages d’où proviennent ces jeunes filles. Bien sûr, cela prendra du temps et demandera beaucoup d’efforts. Mais j’y crois!». 

(1) Lorsqu’une jeune fille arrive en ville, généralement sans prévenir, elle se rend directement chez une femme originaire du même village qu’elle. Cette femme, que l’on nomme «grande logeuse», accepte de l’héberger et de la nourrir pendant quelques jours, le temps que la jeune fille trouve une place d’aide familiale. Du fait de sa forte implication dans le quartier, la grande logeuse peut l’aider dans ses démarches de recherche d’emploi. Elle identifie les employeurs potentiels, s’informe auprès des autres grandes logeuses qu’elle connaît, négocie parfois le salaire qui sera octroyé. De plus, comme la future aide familiale ne dispose pas de compte bancaire à elle, l’employeur s’engage généralement à verser le salaire à la grande logeuse, qui le reverse ensuite à la jeune fille. On le voit, les grandes logeuses constituent une pièce maîtresse dans cette problématique. Il est donc pertinent – voir indispensable – qu’APSEF les associe à la recherche de solutions.