Aux côtés des jeunes aides familiales maliennes

Tant de raisons poussent les jeunes filles maliennes à quitter leur village pour s’aventurer en ville… au risque d’abus.

Tant de raisons poussent les jeunes filles maliennes à quitter leur village pour s’aventurer en ville… au risque d’abus.

Comme d’autres pays en voie de développement, le Mali est confronté à un problème aux lourdes conséquences humaines: l’exode rural des jeunes filles. Les raisons qui poussent chaque année des milliers d’entre elles à quitter leur foyer sont multiples: nécessité de gagner de l’argent pour se constituer un trousseau de mariage (1) ou pour soutenir financièrement la famille, fuite vers la ville afin d’éviter un mariage forcé, etc.

Dès leur arrivée en ville, ces jeunes filles sont généralement engagées comme aide familiale auprès de familles citadines. Elles s’occupent du ménage, font les achats au marché, préparent à manger. Ceci n’est hélas pas sans risques: les cas de violences et d’abus sexuels au sein des familles d’accueil sont fréquents et des grossesses non désirées surviennent; les salaires sont versés de manière irrégulière, voire pas du tout. Quant aux conditions d’hébergement et de nutrition, elles s’apparentent souvent à de l’esclavagisme moderne.

Actions spécifiques en milieu urbain
À Bamako, notre partenaire Apsef lutte pour l’amélioration des conditions de vie et de travail de ces aides familiales. Par le biais de causeries et d’animations organisées dans différents quartiers de la capitale, l’association sensibilise ces jeunes filles à leurs droits et devoirs, aux risques qu’elles encourent et aux moyens existants pour dénoncer d’éventuels abus. Consciente que les grandes logeuses (voir encadré) et les employeurs jouent un rôle clé dans cette problématique, Apsef organise également des causeries avec ces groupes de femmes.

En septembre 2013 , une délégation de Terre des Hommes Suisse s’est rendue dans la commune 5 de Bamako où Apsef mène ses actions de protection et de sensibilisation. L’occasion pour nous de rencontrer plusieurs jeunes filles et d’échanger sur leur vécu et leur quotidien au sein de la famille d’accueil. Comme attendu, le constat fut effarant: aucun jour de repos, natte posée à même le sol dans la cuisine pour dormir, humiliations quotidiennes, nourriture insuffisante. Mais toutes étaient soulagées de savoir qu’Apsef pouvait leur venir en aide, en faisant notamment pression sur les employeurs.

Nous avons également cherché à savoir pourquoi ces jeunes filles avaient quitté leur village. Naturellement, elles évoquèrent la question du trousseau de mariage. Mais d’autres motifs furent rapidement avancés. «Je suis arrivée hier à Bamako, nous confia Fatou- mata*, peu sûre d’elle. Si je suis là aujourd’hui, c’est parce que je ne voulais pas qu’on me marie de force dans mon village.» Puis d’autres langues se sont déliées. Les larmes aux yeux, Rosine* nous raconta son histoire: la vie dans son village, sa joie de pouvoir fréquenter le centre scolaire, sa famille. «Mais quand mon papa est mort, nous n’avions plus assez d’argent pour nourrir la famille. Ma mère m’a donc envoyée à Bamako pour faire aide ménagère. Et j’ai dû quitter l’école à contre-cœur. J’avais 12 ans.»

Causeries sur les droits de l’enfant dans les villages
Sachant que les raisons de cet exode se trouvent principalement en amont, nous nous sommes rendus dans un village proche de Ouélésébougou, à une heure de route de Bamako. Là, Apsef organise des causeries sur la question de l’exode des jeunes filles. Un travail qu’elle effectue également dans une trentaine d’autres villages de la région. Ces discussions portent sur plusieurs thématiques: sensibilisation de la communauté aux droits de l’enfant, organisation de rencontres entre anciennes aides familiales et candidates au départ, sensibilisation des parents aux risques liés à l’exode et aux dangers existants dans la ville de destination.
La causerie à laquelle nous avons assisté dans ce village fut riche en enseignements. Que les échanges étaient vifs et engagés, et la parole libérée! Plusieurs femmes n’ont pas hésité à interpeller directement les chefs du village pour leur faire part de leurs revendications. D’autres ont expliqué les raisons qui les ont poussées à accepter l’exode de l’une de leurs filles. Certaines enfin ont souligné à quel point leur dénuement et leur pauvreté constituent un obstacle majeur pour envisager un avenir meilleur. Bien que perfectible, la dynamique de cette causerie nous a confirmé la pertinence de l’approche retenue par notre partenaire. En instaurant le dialogue, en n’hésitant pas à soulever des questions délicates, Apsef tente de changer peu à peu les mentalités en veillant à impliquer pleinement les communautés concernées. On le constate, les causes de cet exode sont multiples et reposent à la fois sur des logiques traditionnelles et structurelles. «Effectivement, ce mal est profond et la situation complexe, nous lance Siné, l’une des animatrices d’Apsef. C’est pour cela que je suis convaincue de la poursuite de notre action ici à Bamako, mais également dans les villages d’où pro- viennent ces jeunes filles. Bien sûr, cela prendra du temps et demandera beaucoup d’efforts. Mais j’y crois!» Et nous aussi.

Qu’est ce qu’une grande logeuse?
Lorsqu’une jeune fi lle arrive en ville, généralement sans prévenir, elle se rend directement chez une femme originaire du même village qu’elle. Cette femme, que l’on nomme «grande logeuse», accepte de l’héberger et de la nourrir pendant quelques jours, le temps que la jeune fille trouve une place d’aide familiale. Du fait de sa forte implication dans le quartier, la grande logeuse peut l’aider dans ses démarches de recherche d’emploi. Elle identifie les employeurs potentiels, s’informe auprès des autres grandes logeuses qu’elle connaît, négocie parfois le salaire qui sera octroyé. De plus, comme la future aide familiale ne dispose pas de propre compte bancaire, l’employeur s’engage généralement à payer le salaire à la grande logeuse qui le reverse ensuite à la jeune fille. On le voit, les grandes logeuses constituent une pièce maîtresse dans cette problématique. Il est donc pertinent – voire indispensable – qu’Apsef les associe à la recherche de solutions.

* Conformément à notre politique de protection de l’enfance, nous avons utilisé des prénoms fictifs.

1) Afin de pouvoir se marier, une jeune femme malienne est tenue de disposer d’un trousseau de mariage pour aménager son foyer et celui de son futur mari. Ce trousseau se compose d’ustensiles de cuisine, de vêtements, de tissus, mais également de chaises voire de meubles. En moyenne, cela équivaut à un budget de 150’000 francs CFA, soit environ 300 francs suisses. Comme la famille ne possède généralement pas cette somme, ces acquisitions sont à la charge de la future mariée.

Article rédigé par Frédéric Monnerat, publié dans le journal Terre des Hommes Suisse n°113, mars 2014