Brésil: Une stratégie de résistance

Que dire des bouleversements politiques que traverse le pays?
La gestion de ces quinze dernières années, avec Lula puis Rousseff, ne convenait pas à une partie des élites brésiliennes qui se sont senties menacées par les changements sociaux mis en place et les revendications des populations pour défendre leurs droits fondamentaux. À cela se sont ajoutés des scandales de corruption qui ont impliqué les partis politiques de tous bords, et une crise économique annoncée. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer ce que beaucoup ont perçu comme un «coup d’État parlementaire» subi par le gouvernement Rousseff en 2016. Un événement appuyé par les grands groupes médiatiques, les partis politiques d’opposition et les milieux d’affaires qui dominent le pays, mais qui a été considéré par la société comme une attaque à la –encore jeune– démocratie brésilienne.

Depuis, le gouvernement de transition assumé par Michel Temer, ancien vice-président de la République, a présenté un nouveau plan intitulé «Pont pour le futur»: un programme de mesures drastiques qui touchent en particulier les populations les plus vulnérables. Parmi ces décisions, on trouve une réforme de l’éducation qui réduit le nombre de matières obligatoires et rend optionnelles des disciplines telles que la sociologie, la philosophie, l’éducation physique et les arts, disciplines pourtant fondamentales pour la construction de l’esprit critique des enfants et des jeunes. On note également la suppression du Ministère du développement agricole responsable de la mise en place de politiques publiques significatives pour les populations rurales – accès à l’eau, génération de revenus, promotion de l’agroécologie et de l’agriculture familiale. Des politiques qui ont donné des résultats probants, et qui ont soulagé les souffrances séculaires subies par les populations des régions défavorisées du pays.

L’approbation de la proposition d’amendement constitutionnel (PEC 055), qui prévoit le gel des dépenses publiques en matière d’éducation et de santé pour ces vingt prochaines années, est également préoccupante. Une décision contraire aux principes édictés dans notre Constitution fédérale.

Comment réagit la société civile, et que propose en particulier la coordination de Terre des Hommes Suisse au Brésil?
La société civile brésilienne a été attentive au processus de démantèlement des politiques publiques et à la perte de ses  roits. Il y a eu de grandes mobilisations de rue et des campagnes de dénonciation. Au niveau de la coordination Terre des Hommes Suisse, nous avons participé à diverses initiatives pour informer la population, contrer l’hégémonie gouvernementale diffusée par les médias officiels et promouvoir la critique. Nous avons notamment pu collaborer à un numéro spécial du Monde diplomatique et participer au lancement d’actions à travers les réseaux sociaux, comme la campagne «Alerte sociale: quels droits êtes-vous en train de perdre aujourd’hui?» Nous agissons en synergie avec d’autres entités locales et internationales présentes au Brésil, coordonnant nos actions d’information, avec toujours pour objectif d’informer et de sensibiliser l’opinion publique, mais aussi d’encourager sa réaction.

Quelle est l’approche proposée aux partenaires directs?
Pour les quatre prochaines années, notre programme Brésil donne la priorité aux actions conjointes avec d’autres réseaux ou ONG, en mettant l’accent sur le renforcement de nos partenaires et le respect des droits des populations, en particulier celles qui vivent en situation d’exclusion sociale ou économique. Il s’agit de mobiliser les populations bénéficiaires pour garantir les acquis sociaux et freiner le processus de retour en arrière.
Dans cette optique, il est fondamental d’investir dans la formation politique et non-violente de nouveaux leaders, en particulier des jeunes et des femmes, de façon à ce qu’ils puissent participer comme véritables acteurs à la vie associative de leur communauté ou de leur municipalité. Nous rédigeons des conventions de partenariat avec des universités publiques et d’autres ONG locales ou internationales afin d’optimiser nos ressources humaines et financières, et surtout définir de nouvelles actions qui permettront aux bénéficiaires des projets de faire face aux problèmes auxquels ils sont confrontés.
Le contexte actuel ne nous autorise pas à rêver à des avancées en matière de politiques publiques, mais nous conduit plutôt à penser en termes de stratégies de résistance.

Propos recueillis par Souad von Allmen, tiré du journal Terre des Hommes Suisse n°126, mai 2017