Depuis Cali, nous prenons la route et traversons la Cordillère Occidentale pour rejoindre Buenaventura, le port maritime le plus important du pays. Nous arrivons en fin de journée dans cette ville considérée comme l’une des plus dangereuses du monde: paramilitaires, Farc, militaires, narcotraficants, bandes armées, etc. Et au premier coup d’oeil, une impression de noirceur, de bruit, de pollution, d’agitation… pas vraiment le lieu où l’on aimerait voir grandir son enfant. Il faut parler avec les habitants qui témoignent de leur attachement à la ville pour percevoir son autre face.
«Si je devais décrire ma ville en deux mots? Buenaventura, c’est la culture. Mais la culture au sens large, pas seulement la musique et la danse, mais aussi les relations entre les gens, la manière d’être avec les autres, et ce malgré les tensions et les conflits. Ensuite Buenaventura, c’est le territoire, la nature. Sans elle, sans les rivières, les arbres, la formidable diversité que nous avons ici tant sur le plan de la faune que de la flore, nous n’aurions pas développé notre culture!» témoigne une étudiante en science sociale qui fait son stage pratique à Taller abierto, partenaire de Terre des Hommes Suisse.
Je passe la journée avec elle tandis que mes autres collègues partent en zone rurale visiter une communauté bénéficiaire.
Quelques morceaux choisis.
Le plan de modernisation de la ville prévoit de construire un «malecon», une promenade en béton qui récupérerait 18 ha sur la mer. Ces travaux qui débutent nécessitent le déplacement de toute une communauté installée, de façon plus que précaire mais depuis longtemps, au bord de l’eau. Il faut quand même voir ces maisons sur pilotis, reliées par des ponts en bois pourri recouverts par la marée qui, lorsqu’elle se retire, laisse apparaître des monceaux de détritus… un cercle vicieux puisque la municipalité leur refuse les services de base, notamment l’accès à l’eau et à l’électricité… évidemment, ils veulent les faire déguerpir.
On prend un taxi pour traverser plusieurs quartiers de façon plus sûre. Souvent alors qu’on longe une rue, on doit tourner pour ne pas poursuivre dans une zone plus dangereuse. «Les gens savent où passer ou non; il y a comme des frontières invisibles.» Les bandes armées se répartissent les quartiers. Elles savent exactement qui entre et qui sort; les propriétaires des petits commerces sont racketté sous prétexte de «protection». Leur magasin, même ouvert, est fermé par des grilles. Nous roulons à travers les rues, voire les ruelles parfois défoncées qui se prolongent par des chemin de terre battue. La ville grandi. Au centre des édifices plutôt modernes mal entretenus, plus loin certaines maisons gardent un certain charme colonial, avec des escaliers extérieurs en colimaçon… elles sont toutes plus ou moins décrépies. Ailleurs de simples cahutes de bois sur pilotis, la mer entrant loin dans les terres.
Beaucoup de violence parmi les enfants et les jeunes. L’agitation et le conflit est une manière d’être. «Pour ne pas ennuyer ces enfants, il faut pouvoir leur transmettre des connaissances de façon ludique. Mais le ludico-récréatif doit avoir des objectifs pédagogiques.» Un des axes de travail de Taller abierto dont nous parlerons demain. Les jeunes en particulier sont dans une situation délicate (trafics illicites, recrutement forcé, usage de substances psychoactives, grossesses précoces, etc.).
La phrase du jour: est-ce que je peux sortir l’appareil photo du sac?