Article rédigé par : Anahy Gajardo, spécialiste Education à la durabilité et aux droits de l’enfant, Terre des Hommes Suisse
Dans le cadre de son programme en Éducation en vue d’un développement durable (EDD), Terre des Hommes Suisse accompagne ses partenaires locaux afin de mieux comprendre et affronter les enjeux liés au changement climatique. Cet accompagnement technique s’inscrit dans la politique de localisation de l’aide qui guide notre organisation depuis plus de soixante ans : plutôt que de mener directement des projets, TdH soutient des acteurs locaux, porteurs de solutions adaptées à leurs contextes et à leurs communautés. La localisation, c’est ce choix de miser sur la connaissance, l’expérience et l’ancrage des partenaires sur le terrain, pour rendre l’action plus pertinente, durable et équitable.
C’est dans ce cadre qu’a été organisé, le 11 août dernier, un atelier en ligne sur les conséquences sociales du changement climatique sur les droits de l’enfant, à destination de l’ensemble de nos partenaires indiens. Cette formation a permis de croiser une analyse globale avec des réalités locales, grâce aux présentations de trois organisations partenaires :
- RDA (Rural Development Association), engagée auprès d’enfants et jeunes de communautés tribales (adivasi) marginalisées de 20 villages du district d’East Singhbhum, au Jharkhand, pour améliorer leur accès à l’éducation et à leurs droits.
- Rural Aid, qui déploie des centres d’éducation de soutien dans cinq plantations de thé du district d’Alipurduar, afin d’assurer l’éducation et la protection des enfants les plus vulnérables, tout en renforçant leur capacité à connaître et défendre leurs droits.
- SMOKUS (Shripur Mahila-O-Khadi Unnayan Samity), active à Raiganj (Uttar Dinajpur) et Murshidabad, où la migration des enfants et des jeunes, contrainte par la pauvreté et l’absence de moyens de subsistance, alimente le décrochage scolaire et les risques d’exploitation. SMOKUS travaille à l’éducation des enfants, à leur participation, et au renforcement de la résilience économique des femmes à travers des groupes d’entraide, afin de transformer les communautés de l’intérieur.


Les témoignages partagés lors de cet atelier illustrent une réalité plus large. Le changement climatique dépasse largement la seule dimension environnementale : il bouleverse les sociétés humaines et fragilise directement les droits de l’enfant. Les expériences vécues par nos partenaires en Inde (voir encadré)– qu’il s’agisse de la déscolarisation liée à la pauvreté dans les plantations de thé, de la migration forcée des jeunes dans le district d’Uttar Dinajpur, ou de la précarité des communautés tribales du Jharkhand – font écho à des constats observés à l’échelle mondiale. Les données produites par l’UNICEF (2021), le GIEC (2023) et le Comité des droits de l’enfant (2023) confirment en effet que ces situations locales ne sont pas isolées, mais bien les symptômes d’un phénomène global qui agit comme un amplificateur des inégalités et comme une menace directe pour les droits fondamentaux des enfants.
Jharkhand (RDA). Dans les villages riverains des forêts d’East Singhbhum, les communautés adivasi font face à des pluies erratiques et à des épisodes de sécheresse qui perturbent l’agriculture et l’accès à l’eau. Pour les enfants, cela se traduit par davantage de malnutrition, de diarrhées, de coups de chaleur et de maladies respiratoires, aggravés par l’insécurité de l’eau potable. Les perturbations scolaires s’accentuent lors d’événements climatiques extrêmes, tandis que le stress psychique augmente dans les familles frappées par les pertes de récoltes et de revenus.
La dégradation des écosystèmes forestiers, la raréfaction des ressources de la forêt autres que le bois (fruits, feuilles, miel, plantes médicinales) et la baisse des nappes phréatiques fragilisent les moyens de subsistance ; des attaques d’éléphants endommagent cultures et habitations, et les filles parcourent de longues distances pour aller chercher l’eau. RDA répond par le renforcement des capacités des enfants et des jeunes, des actions de sensibilisation communautaire et des initiatives menées par les jeunes eux-mêmes, afin d’articuler protection de l’enfance, résilience locale et éducation aux droits et au développement durable (programme éco-journalistes).
Un amplificateur d’inégalités
Les impacts du changement climatique ne se répartissent pas de manière uniforme à travers le monde. Dans les régions déjà marquées par la pauvreté ou l’exclusion sociale, les sécheresses, inondations ou cyclones aggravent les vulnérabilités existantes, en particulier pour les enfants.
Selon le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF, 2021), plus d’un milliard d’enfants vivent dans des pays classés à « très haut risque » face aux aléas climatiques et environnementaux. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) souligne que les pertes et dommages et les risques associés touchent de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables, et que les capacités d’adaptation dépendent étroitement de l’accès à des ressources financières et institutionnelles adéquates (GIEC, 2023). Cette asymétrie soulève des enjeux centraux de justices sociale, climatique et intergénérationnelle que le Comité des droits de l’enfant (CRC) a récemment rappelés en affirmant que le droit de chaque enfant à un environnement propre, sain et durable est à la fois un droit en soi et une condition de réalisation des autres droits (CRC, 2023).

Plantations de thé d’Alipurduar (Rural Aid). Les vagues de chaleur, les pluies irrégulières et la déforestation dégradent les feuilles de thé : la productivité et la qualité chutent, certaines plantations dépérissent, voire ferment partiellement, avec des répercussions économiques directes sur les familles. Cette précarité alimente des migrations à risque, y compris des cas de traite, et fait émerger des problématiques de protection de l’enfance. Rural Aid agit via des centres d’éducation de soutien, des clubs d’enfants, des groupes de jeunes, des groupes d’entraide, des comités locaux de protection de l’enfance et les écoles publiques : éducation aux droits et au développement durable (programme éco-journalistes), jardins potagers organiques, campagnes de plantation, propreté communautaire et plaidoyer ; l’organisation encourage aussi la collaboration avec le département des forêts (conflits homme-faune) et des visites d’échanges / apprentissages pratiques.
Des droits directement menacés
Le changement climatique compromet aujourd’hui un large éventail de droits fondamentaux de l’enfant, jusque dans les gestes les plus simples de leur quotidien. Dans de nombreuses régions, les vagues de chaleur étouffantes, les sécheresses prolongées ou les inondations soudaines menacent directement leur droit à la vie et à la survie (Convention relative aux droits de l’enfant, art. 6). Les enfants sont plus exposés aux maladies, mais aussi à la malnutrition, et portent le poids invisible de l’anxiété et de l’incertitude qui minent leur droit à la santé (art. 24).
L’école, censée être un lieu d’apprentissage et un espace protecteur devient, elle aussi, fragile. Des salles de classe se transforment en abris d’urgence après une tempête, tandis que d’autres restent vides parce que les familles, frappées par la perte de leurs récoltes ou de leur emploi, n’ont d’autre choix que de migrer ou de retirer leurs enfants pour les faire travailler. Le droit à l’éducation (art. 28) se trouve ainsi suspendu à chaque catastrophe. Quand l’économie familiale s’effondre, la protection des enfants recule. Mariages précoces, travail des enfants ou exploitation deviennent des stratégies de survie, au détriment de leur droit à grandir en sécurité (art. 32–36).
Même les besoins les plus élémentaires – un toit solide, de l’eau potable, une alimentation suffisante – sont remis en question, compromettant le droit à un niveau de vie digne (art. 27). Ainsi, derrière chaque statistique sur le climat se cache l’histoire d’un enfant dont l’avenir se rétrécit, non pas par manque de potentiel, mais par l’accumulation de crises qui grignotent ses droits fondamentaux.


Raigang et Murshdabad (SMOKUS). Dans ces districts marqués par des migrations massives, la hausse des températures, l’irrégularité de la mousson et les phénomènes extrêmes fragilisent l’agriculture et accroissent les coûts d’irrigation, ce qui pousse les familles – y compris avec enfants – à partir pour chercher du travail. Les écoles ferment lors des vagues de chaleur, l’assiduité chute, les infrastructures sont inadéquates et les inondations interrompent encore davantage la scolarité ; les filles assument une charge domestique accrue, et les risques de travail des enfants augmentent, creusant les inégalités éducatives. SMOKUS soutient la continuité éducative des enfants vulnérables, accompagne les mères pour renforcer les revenus, et travaille avec les enseignants des écoles publiques. La feuille de route inclut l’extension des appuis éducatifs, des liens école-communauté renforcés par l’éducation aux droits et au développement durable (programme éco-journalistes), l’autonomisation économique et le plaidoyer local.
Agir pour rompre le cercle vicieux
Le changement climatique agit comme un cercle vicieux : il provoque des injustices sociales qui, à leur tour, accentuent les effets de la crise environnementale. Y répondre exige une transformation profonde : réduire les émissions, renforcer la solidarité internationale et placer les droits humains, en particulier ceux des enfants, au cœur des politiques climatiques. Les enfants eux-mêmes jouent déjà un rôle clé : par leurs mobilisations, ils rappellent aux décideurs l’urgence d’agir. L’éducation, notamment à la durabilité, est un levier essentiel pour leur donner les moyens de comprendre, de s’exprimer et de participer activement aux solutions. Protéger l’environnement, c’est protéger les droits de l’enfant – et préparer un avenir plus juste et plus sûr pour toutes et tous.