Connaître ses droits et oser parler, un premier pas pour sortir de l’exploitation

Au sein d’une école rurale, des enfants travailleurs suivent des ateliers sur leurs droits. Dernièrement, ils ont réussi à obtenir une assurance santé. 

Municipalité de Puna, province de Potosi. Il est 10 heures. La gardienne nous ouvre la grille de l’entrée de l’école, cadenassée. C’est la pause et l’ambiance est à son comble dans cette cour d’école : certains jouent au basket alors que d’autres courent s’acheter un petit pain ou forment de petits groupes de discussions.  

À peine entrées dans l’enceinte scolaire, une quinzaine d’enfants viennent saluer chaleureusement Luz, la responsable du projet à Pasocap, partenaire de Terre des Hommes Suisse. Depuis quelques mois, elle se rend dans cette école où elle mène des ateliers avec les enfants travailleurs, dit NNATs (niñas, niños y adolecentes trabajadores). 

Le petit groupe d’élèves que nous rencontrons, principalement âgés de 10 à 12 ans, se réunit chaque semaine avec Luz dans une salle mise à disposition par le directeur. En dehors de l’école, tous travaillent : l’un est aide-ouvrier, l’autre aide sa famille dans les champs ou comme vendeur sur le marché de la ville voisine, chaque fin de semaine. Le travail, tout comme l’école, fait partie de leur quotidien. 

Timides au départ, les langues se délient petit à petit. L’un d’eux est surtout très curieux et souhaite tout connaitre de mon pays, la Suisse. « Comment c’est chez vous ? Ils font quoi comme travail les enfants après l’école ? » Imaginez leurs gros yeux tout surpris quand je leur explique que dans mon pays les enfants ne travaillent pas et qu’ils vont à l’école toute la journée… Ils ont vite fait de comprendre un élément déterminant : « Combien gagne un papa ou une maman en Suisse ? » me rétorque-t-on alors. 

Une petite « pirouette » et nous voici en train d’aborder la question de combien ces enfants gagnent lorsqu’ils travaillent. Chacun fait part de son salaire, généralement par jour de travail. Erwin*, nouveau dans le groupe, nous explique alors qu’il n’a pas encore touché de salaire, qu’il doit travailler jusqu’au dernier jour de l’année pour que les 3000 bolivianos (environ 440 francs suisses) promis à son père lui soient payé – alors que le salaire minimum en Bolivie est fixé à 2000 bolivianos par mois, pour les adultes comme pour les enfants.  

Depuis plus de 10 mois, ce garçon de 12 ans travaille 5 heures par jour dans un atelier de menuiserie, et ce tous les jours de la semaine et du week-end. Un grand silence s’installe, des regards s’échangent. « Vous trouvez cette situation normale ? », demande-t-on aux autres enfants. Un grand NON se fait entendre. « Que pouvons-nous faire ? » Silence à nouveau… « On ne peut rien faire » entend-on de la petite voix de Erwin, résignéi.  

C’est pour rompre ce silence, pour que ce genre de situation d’exploitation des enfants au travail soient détectées et évitées que Pasocap a notamment mis en place ces ateliers hebdomadaires dans 14 écoles et collèges de la province, dans les municipalités de Puna, Betanzo, Uyuni et dans la ville de Potosi. Les enfants et les jeunes qui y participent apprennent qu’ils ont des droits non seulement en tant qu’enfants, mais également en tant qu’enfants travailleurs. « Au début j’étais timide, mais aujourd’hui j’ose plus parler » nous raconte une jeune fille. Alors que souvent ils n’osaient pas dire qu’ils travaillaient de peur d’être discriminés par les autres élèves, ils réalisent qu’ils ne sont pas seuls dans cette situation et qu’ensemble ils peuvent parfois changer leur situation. Des liens de solidarité se tissent entre eux. « Quand j’ai su que pour le même travail mais dans un autre restaurant Giovana gagnait plus que moi, elle m’a accompagnée pour aller parler à mon patron et depuis il m’a augmenté » nous explique Aida*, 15 ans, ainée d’une famille de 8 enfants, qui travaille comme aide cuisinière en fin de semaine.  

Les enfants convoquent le gouvernement
En parallèle au travail mené avec les élèves, Luz qui a plus de 15 ans d’expérience de travail dans l’accompagnement des enfants travailleurs, forme les enseignants pour qu’ils puissent être mieux à même de détecter les enfants travailleurs à risque de décrochage scolaire et leur apporter le soutien nécessaire pour qu’ils poursuivent leurs études. 

Sortir du défaitisme, agir, proposer des solutions quand il semble ne pas y en avoir. C’est aussi cela le travail de Pasocap. À peine sorties de l’école, nous nous rendons dans le bureau du responsable du développement humain de Puna. Le cas d’Erwin lui est conté, un rendez-vous est pris la semaine suivante pour sortir l’enfant de cette situation de travail forcé. 

Cette coordination avec les services étatiques (les defensorias notamment) chargés d’apporter un soutien juridique, psychologique et social aux enfants dont les droits sont bafoués, est parfois difficile. Les restrictions budgétaires, la manque de volonté de certains fonctionnaires et la rotation du personnel entament encore trop souvent leur efficacité. Pasocap est alors là pour leur rappeler leurs responsabilités. Les enfants travailleurs, organisés en syndicats, jouent aussi un rôle important à ce niveau plus politique. 

Dans la ville de Potosi par exemple, Pasocap fait partie de la sous-commission d’éradication des pires formes de travail des enfants (SEPTI), sous la responsabilité du ministère du Travail, à laquelle participent également la défenseuse du peuple, la responsable des six defensorias de la ville, ainsi que la CONATSOP, un syndicat d’enfants travailleurs qui se réuni chaque semaine dans la Casa Nats gérée par Pasocap (la maison des enfants travailleurs). Le 12 juin 2017, journée emblématique de la lutte contre le travail des enfants, les enfants travailleurs organisés ont convoqué les membres du gouvernement local afin de leur faire part de plusieurs de leurs revendications. Celle de pouvoir compter sur une assurance santé a rencontré un véritable écho et plusieurs réunions ont déjà eu lieu entre la SEPTI et les membres du conseil municipal afin qu’elle puisse rapidement voir le jour. Cette assurance sera offerte à tous les enfants scolarisés, qu’ils travaillent ou non, dans le but de diminuer la désertion scolaire.  

* Prénom fictif, selon notre politique de protection de l’enfance.

(encart) Le  travail des enfants en Bolivie 

En Bolivie, il y a entre 500 ’000 et 850 ’000 enfants travailleurs de moins de 14 ans, selon les sources, soit environ 1 enfant sur 3. Cette situation est intrinsèquement liée à la pauvreté des parents. 

En juillet 2014, une nouvelle loi sur le travail des enfants promulguée par le gouvernement bolivien a intégré trois revendications portées par les enfants travailleurs organisés en syndicats : 1. un salaire horaire équivalent à celui des adultes ; 2. l’interdiction des activités dangereuses comme le travail dans les briqueteries ou les mines ; 3. l’abaissement de l’âge l’égal : les travailleurs indépendants peuvent travailler dès 10 ans et ceux qui ont un employeur, dès l’âge de 12 ans, à condition qu’ils en obtienne l’autorisation auprès de la defensoria (service social dédiée principalement à l’enfance) et pour autant que le travail ne nuise pas à leur scolarité, à leur dignité ou soit considéré comme dangereux. 

Cet abaissement de l’âge légal à 10 ans a créé une très forte polémique au niveau international car elle entre en contradiction avec la convention internationale ratifiée par la Bolivie, qui interdit tout travail aux enfants de moins de 14 ans. 

Aujourd’hui, trois ans après son approbation, les defensorias sont saturées et ne sont pas capables de mener à bien les tâches qui leur incombe. Certaines organisations de la société civile, dont Pasocap et les syndicats d’enfants travailleurs, font pressions pour qu’elles mettent en place le registre des enfants travailleurs de chaque municipalité. À savoir également qu’à ce jour, aucune estimation de la situation socio-économique ou de santé des enfants travailleurs n’est connue.

Article rédigé en novembre 2017 par Laurence Froidevaux, dont une version courte est parue dans le journal Terre des Hommes Suisse n°129

 

www.terredeshommessuisse.ch/pasocap2017