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« Nul besoin de l’expliquer : son école est fermée », témoignage d’Haïti

Les dernières violences à Haiti ont mis en lumière la puissance des gangs qui profitent souvent de la négligence des institutions pour étendre leur pouvoir. Un phénomène bien connu dans le pays le plus pauvre d’Amérique où les gangs prospèrent sur fond de racket, trafic, enlèvements et pillages. Armés jusqu’aux dents, ils créent la terreur notamment dans la capitale de PortauPrince.  

La situation dans le pays est complexe, à en juger notamment par les difficultés à déployer une mission internationale pour venir en aide à la nation. Aujourd’hui, e sont des vies entières qui sont anéanties, les enfants étant en première ligne de cette horreur 

Guerty Aimé, coordinatrice nationale de Terre des Hommes Suisse en Haïti, témoigne à sa façon de la situation actuelle. Reportage. 

Mario se tient debout, perplexe devant la barrière de l’école. Il se dandine, hésite et jette un regard circulaire à la recherche d’une réponse à sa question muette. Que se passe-t-il donc ce matin à Argentine Bellegarde ? 

Un groupe de femmes, pressées, le bousculent au passage. Elles portent chacune un baluchon d’où l’on voit émerger ça et là une casserole, le talon d’une chaussure et même un bout de pain. Mario regarde la barrière béante et au-delà tous ces gens dans la cour qui s’activent, se promènent ou sont assis à même le sol, entourés d’objets hétéroclites, le visage fermé. 

Mario était là pourtant 13h, en train de courir derrière son ami Jefferson pour attraper le ballon de football. Où sont donc passés tous les enfants, la maitresse et même la Directrice Mme Hollant, toujours debout près de l’escalier, observant d’un œil vif comment chaque enfant se présente et si les chemises d’uniforme ont bien été ajustées à l’intérieur du pantalon ? 

Mario se frotte le front et se demande s’il n’est pas victime d’un mauvais rêve, comme dans ce conte où Adelina est transportée dans son sommeil au pays des mille yeux. Mais non… il ne rêve pas. Son école n’en est plus une…

Nous sommes le vendredi 1er mars 2024. Tout est réel.

La veille, vers 16:30, plus de 800 personnes ont envahi le local de l’école Argentine Bellegarde. Des déplacés internes. 827 personnes exactement dont 23 garçons et 41 fillettes de zéro à 12 ans, parmi les 15000 enregistrés dans cette course sans fin qui se déroule à Port-au-Prince depuis le 29 février 2024.  

Image d'une école à Haïti en novembre 2023
Image d'une école à Haïti en novembre 2023

Les gangs armés, refédérés pour l’occasion, ont décidé de lancer une ultime offensive dans la capitale. Objectif déclaré : mettre fin au gouvernement du Dr Ariel Henry. Et depuis lors, le matin, le midi, le soir et même la nuit, le fracas des tirs de mitraillettes rythme les gestes de deux millions de personnes encerclées dans l’enfer de Port-au-Prince. Ces attaques armées ont provoqué des déplacements massifs de population dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. 3204 ménages, soit 14740 individus dont plus de 5000 enfants, ont été contraints de se déplacer. Carrefour feuilles, Ruelle Alerte, Poste Marchand, Rue des Miracles : un à un les quartiers se sont vidés au bas de la ville, laissant à l’abandon quelques chiens qui errent sur les amas de détritus.  

« Seules 17 % des personnes déplacées ont pu trouver un refuge chez un parent, un ami ou un samaritain. »

Seules 17 % des personnes déplacées ont pu trouver un refuge chez un parent, un ami ou un samaritain. Pour le reste, soit 83%, il s’agit de trouver un mur pour s’abriter, n’importe lequel et au plus vite. Ainsi donc, au fil de cette course sans issue, on voit émerger des « sites spontanés de déplacés internes », comme on les appelle pudiquement où des restes de familles disloquées par l’errance, tentent d’emprisonner le temps. Tenir, survivre… à tout prix. 

Les écoles devenues des refuges... où aller à l'école ?

Après les bâtiments fissurés lors du tremblement de terre de 2010, les écoles sont devenues le nouveau point de convergence et l’ultime recours pour la population en détresse. Deux semaines plus tôt, c’étaient des lycées : Lycée Antenor Firmin, Lycée Jean Jacques, Lycée des Jeune filles, Lycée Marie Jeanne… Mais dans cette nouvelle vague, ce sont des écoles fondamentales et primaires : 

  • Ecole Colbert Lochard
  • Ecole Nationale Virginie Sampeur
  • Ecole Nationale Caroline Cheveau
  • Ecole Nationale Argentine Bellegarde
  • Ecole Nationale Darius Denis
  • École Nationale Charles Dubé
  • Ecole Nationale Colombie 

Ces quatre dernières sont des écoles partenaires de Terre des Hommes Suisse à travers le programme d’éducation aux droits, au développement durable et à la solidarité. Ce sont donc plus de 1800 enfants et des poussières qui fréquentent ces 4 écoles à Port-au-Prince, qui comme Mario ce vendredi matin voient leur univers s’écrouler car les écoles sont fermées.  

« Ce sont donc plus de 1'800 enfants qui, comme Mario ce vendredi matin, voient leur univers s’écrouler car les écoles sont fermées. »

Exit les rires, les jeux, la nourriture, les images dans les livres. Toutes ces choses qui concourent à inscrire le quotidien des enfants dans une normalité au milieu du chaos : c’est fini.  

Mille images se bousculent dans la tête de Mario. Le club GRD qui a organisé le mois dernier des exercices d’évacuation où l’on apprend ce qu’il faut faire si jamais la terre tremble. Les robinets intarissables sur la cour où l’on peut boire de l’eau où il n’y a pas de microbe. Le terrain de football. La maîtresse toujours enjouée et prête à répondre aux questions. François le responsable du Comité de classe qui fait la moue quand il ramasse les cahiers de devoirs. Et puis Chantale qui fait toutes sortes de grimaces pour forcer la classe à rire en pleine récitation. Et puis, Robert, le gardien qui est toujours là, assis tout près de la barrière sur un vieux tabouret. Et tous ces jeux et les chansons qu’on fait en classe dans l’atelier du mercredi.  

Image d'une école à Haïti en novembre 2023
Image d'une école à Haïti en novembre 2023

Mario jette un dernier regard sur la barrière et lentement, très lentement opère un demi-tour. Nul besoin de le dire, de l’écrire ou bien de l’expliquer, l’école, son école est fermée.  

Exit les parties de football, le repas garanti, les règles et les consignes, les blagues et les chicanes, les horaires et surtout des gens à qui parler. Son école, le seul endroit tranquille et sûr où il pouvait se sentir en sécurité, jouer et même pleurer, son école est fermée. 

Des lieux où l'on a le droit d'être un enfant

Mario s’éloigne à petits pas. Il va devoir repasser devant la base pour enfiler le corridor vers sa « maison », dans le bidonville d’à côté. Il va devoir rassembler ce qui lui reste de dignité pour avancer sans regarder les hommes postés devant la base, avec leurs fusils et leurs cagoules.  

Terre des Hommes Suisse en Haïti travaille pour que Mario, Chantale, François, Jefferson et tous les autres aient chacun accès à un lieu où ils ont le droit d’être des enfants.   

L’École Nationale Argentine qui se trouve dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, plus précisément à la ruelle Vaillant à Lalue est l’un de ces lieux auxquels nous fournissons un appui à travers des mesures de facilitation pour les enfants en situation de grande vulnérabilité. Cette école qui fonctionne en double vacation accueille des enfants de la première année du préscolaire à la sixième année fondamentale. 

Depuis le 29 février, date de l’occupation du site par les déplacés internes, 437 enfants dont 241 filles, âgés de 5 à 16 ans ne vont plus à l’école, car l‘établissement ne fonctionne pas pour le moment. Des dispositions ont été prises par la direction pour sécuriser les pièces d’identité des enfants et le matériel scolaire. Les éducateurs continuent à se rendre chaque jour sur les lieux pour s’assurer que le site ne sera pas vandalisé et recevoir les parents qui viennent chaque jour s’enquérir de l’évolution de la situation.  

Au-delà de l’aide de première urgence fournie aux déplacés, Terre des Hommes Suisse unit sa voix à celle de tous les parents des élèves et à celle de l’ONAPE et du MENFP pour qu’une solution rapide soit trouvée, permettant aux élèves comme Mario de retrouver un environnement protecteur et sûr.  

Guerty Aimé 

13/03/2024  

 

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