Farida, jeune femme issue d’une minorité en Inde, se mobilise au sein d’un Youth Council soutenu par Terre des Hommes Suisse.
Farida, jeune femme issue d’une minorité en Inde, se mobilise au sein d’un Youth Council soutenu par SPAN, un partenaire de Terre des Hommes Suisse.
Nous sommes en Inde, dans un bidonville de Kolkata (Calcutta), sans électricité ni eau courante. Les échoppes sont installées au-dessus des égouts à ciel ouvert.
Farida, c’est d’abord un regard franc et une poignée de main décidée. Vient ensuite un flot enthousiaste de paroles qui évoquent l’engagement, le leadership des jeunes, les droits des enfants à faire connaitre et à défendre, dans sa communauté comme sur le plan national.
Farida a 22 ans. Elle nous parle de son incroyable parcours de vie et de son combat, qu’elle mène avec d’autres jeunes de sa communauté, soutenus par le partenaire local de Terre des Hommes Suisse, l’association SPAN.
TdH: Farida, peux-tu nous parler de ton parcours et de ta famille?
Farida: Quand j’avais 8 ans, ma famille a quitté l’Uttar Pradesh pour Kolkata et ses opportunités de vie. Je suis l’aînée de cinq frères et sœurs et je vis avec mes parents. Mon père est chauffeur routier et ma mère s’occupe de la maison. Je suis en train de finir mes études en comptabilité et tous mes frères et sœurs poursuivent également des études, ce qui est une grande fierté pour l’ensemble de la famille car personne avant nous n’avait dépassé l’école obligatoire.
TdH: Comment t’engages-tu dans ta communauté?
Farida: Une fois installés à Kolkata, nous avons entendu parler de SPAN et de son travail qui permet aux enfants déscolarisés de mon quartier d’accéder à une éducation de base et à une formation professionnelle. J’ai alors rejoint un groupe d’enfants que nous avons appelé Ek Saath (Ensemble). J’avais 9 ans! Nous organisions des pièces de théâtre et avons publié un magazine pour sensibiliser notre communauté aux droits de l’enfant et à l’environnement. Nous nous occupions également d’enfants déscolarisés afin qu’ils réussissent leur examen d’entrée à l’école publique. De quinze étudiants accompagnés à l’origine, il y en a aujourd’hui 200!
À 11 ans, j’ai eu l’opportunité de participer avec d’autres jeunes de mon groupe au Forum social mondial à Delhi. Nous y avons parlé au nom des enfants de notre communauté, exploités au travail. Après cette expérience tellement enthousiasmante, j’ai décidé de rejoindre le Youth Council qui s’était créé dans mon quartier.
TdH: Parle-nous de ces Youth councils.
Farida: Ces groupes sont des plateformes au sein desquelles les jeunes peuvent exprimer leurs avis et partager leurs expériences. Ils peuvent également mettre sur pied des initiatives concrètes pour apporter des changements positifs dans la vie des enfants et des jeunes. C’est aussi un espace pour développer son sens des responsabilités, sa citoyenneté et son implication dans sa communauté.
J’ai rejoint le groupe de mon quartier à l’âge de 18 ans et j’en suis rapidement devenue la représentante.
TdH: Dans quelle mesure ce groupe de jeunes a changé ta vie?
Farida: Avant de rejoindre ce groupe, j’étais timide, je parlais peu et ne prenais jamais d’initiative seule car je n’avais pas confiance en moi. Ma première motivation a donc été de dépasser mes peurs, de gagner en confiance, de mieux me connaitre moi-même et de me lancer des défis. Pari tenu: le Youth Council m’a aidé à me renforcer et à faire ressortir le leader qui dormait en moi.
Nous organisons différentes activités chaque mois dans le but de faire participer les jeunes et de les aider à prendre des initiatives en vue d’améliorer leur vie et celles des jeunes de leur communauté. Un dimanche par mois (Sunday Adda), les membres du groupe ont l’occasion de se former et de s’impliquer, de réfléchir en commun sur un sujet choisi à l’avance ensemble. Chacun arrive avec des informations sur le sujet afin de nourrir la discussion collective. Il s’agit là de développer une vision commune de son futur, de reconnaitre et de valoriser les réalisations des camarades, de construire des collaborations au sein de l’équipe afin de se renforcer mutuellement.
Chaque année aussi nous célébrons la journée mondiale de la Terre en plantant des arbres ou en organisant un concours d’affiches, en sensibilisant des enfants dans les écoles ou en montant des pièces de théâtre dans la rue. Nous avons également des activités régulières comme la collecte de déchets plastiques pour sensibiliser la population à lutter contre cette pollution et la fabrication de sacs en papier que nous distribuons gratuitement aux familles.
Nous avons enfin des interactions avec des groupes de jeunes d’autres États afin de partager nos expériences et d’organiser des campagnes de plus grande envergure.
TdH: As-tu noté des changements chez les autres membres du groupe?
Farida: Oui, la plupart des membres ont réellement changé! Par exemple, une de mes amies n’avait pas du tout confiance en elle, elle était incapable d’envisager son avenir et n’osait pas donner son nom de famille qui évoquait son statut d’intouchable (dalit). Ses parents ne voulaient pas qu’elle sorte de chez elle, l’imaginaient enseignante. Maintenant elle a trouvé sa vocation en tant qu’activiste sociale. Elle ose se présenter avec son nom de famille et sort de chez elle plusieurs jours d’affilée pour suivre des formations. Elle se bat également contre les mariages précoces des filles.
TdH: Quels défis dois-tu relever en tant que fille?
Farida: Dans mon pays, les femmes sont aussi nombreuses que les hommes mais elles sont encore considérées comme une minorité car elles ont moins de pouvoirs et de privilèges. Un mariage précoce m’était destiné. Je me bats chaque jour pour briser cette fatalité.
Pendant longtemps, j’avais honte d’être une fille, je voulais être un garçon: seuls les fils sont chéris par leurs parents car ce sont les garçons qui s’occuperont d’eux lorsqu’ils seront âgés. Je détestais les filles car elles sont dépendantes des hommes: du père et du frère dès leur naissance, puis du mari après le mariage. Elles n’ont pas d’identité propre et pas de volonté pour décider de leur avenir.
Ma mobilisation au sein du Youth Council m’a permis d’acquérir une identité propre et reconnue, de la revendiquer et d’en être fière. Mon rêve est de faire évoluer l’état d’esprit des filles et des femmes afin qu’elles osent devenir indépendantes: oser prolonger leurs études, oser penser qu’elles peuvent avoir une autre ambition que cuisiner et servir la famille. Si elles veulent changer leurs vies, elles doivent d’abord changer leur propre mentalité! Je veux faire quelque chose de bien pour les enfants de mon pays, insuffler un changement permanent pour faire respecter leurs droits.
Encadré
Society for People’s Awareness (SPAN) cherche à prévenir la descolarisation d’enfants et favorise l’accès à une éducation de base dans des quartiers où le taux d’analphabétisme est très important. Elle propose deux types de soutien: d’une part, pour ceux qui ont déjà quitté l’école, des Open schools, sorte de cours à distance avec examens qui permettent aux enfants de rattraper leur retard scolaire; d’autre part, des formations professionnelles alternatives – électricité, réparation de téléphones, couture – et l’accompagnement de jeunes dans leur intégration au marché du travail.
Propos recueillis par Minou Khamsi, extrait du journal TdH127,septembre 2017