Au Burkina Faso, malgré les préjugés de leur entourage, des centaines de jeunes filles défavorisées suivent avec détermination une formation qualifiante dans des métiers habituellement réservés aux hommes.
Au Burkina Faso, malgré les préjugés de leur entourage, des centaines de jeunes filles défavorisées suivent avec détermination une formation qualifiante dans des métiers habituellement réservés aux hommes.
On cisaille, on ponce, on cloue, on soude, on peint, on redresse de la tôle… et on sourit! Nous voilà au cœur d’un atelier de formation pas comme les autres: dans une banlieue défavorisée de Ouagadougou, des jeunes filles de 15 à 25 ans suivent une formation professionnelle diplômante en électricité auto, carrosserie, électronique et mécanique. Un atelier plus classique de coupe et couture complète le tout.
Le Centre féminin d’initiation et d’apprentissage aux métiers (CFIAM) a pour ambition, depuis sa création en 1996, de démontrer que les métiers non traditionnels peuvent être assumés de façon aussi compétente par des filles ou des garçons!
Chaque filière de formation propose trois années d’étude et bénéficie d’un équipement de bonne qualité et en suffisance pour le nombre d’élèves présentes. En plus de la formation technique, les apprenantes doivent faire chaque année un stage d’un mois, pendant leurs vacances, dans un atelier-patron.
Des ambitions enthousiastes
Martine, Nadine et Rosalie, 20 ans, sont en 2e année d’électronique. Concentrées sur leur appareil de mesure du courant, elles lèvent le nez pour nous raconter avec enthousiasme leur rêve: ouvrir un jour une entreprise pour réparer tout type d’appareil électronique (télévisions ou téléphones portables), installer des alarmes, des panneaux solaires, des climatiseurs. Elles comptent bien bénéficier du fonds de micro-crédit proposé par le centre pour démarrer leur activité.
Même enthousiasme chez Addissa, 22 ans, en fin de formation de mécanique auto. «Avant de monter mon propre garage, je voudrais me faire embaucher par un patron afin d’acquérir de l’expérience, notamment dans la négociation avec les clients. Lors de mon précédent stage, j’ai pu voir que ni les clients ni les patrons n’ont a priori confiance dans les femmes pour travailler dans un garage. Il faut donc que l’on prouve nos compétences, encore plus que les
garçons. Mais comme nous sommes beaucoup plus méticuleuses, généralement tout le monde est content!»
Les défis auxquels sont confrontées ces jeunes filles sont toutefois immenses: une élève sur trois abandonnera sa formation avant la fin, faute d’argent pour le repas de midi ou le transport, à cause d’une grossesse précoce, par manque de confiance en elle ou sous la pression de l’entourage qui ne voit pas toujours d’un bon œil ce cursus atypique.
Ensuite, une fois le diplôme en poche, une femme sur trois renoncera à travailler à cause des horaires non adaptés pour une mère de famille, d’un conjoint réticent ou tout simplement par manque de sanitaires dans les garages…
Changer les mentalités
Face à cette adversité, le centre de formation a développé différentes stratégies. Des clips musicaux tournés avec une star de la chanson burkinabè sont diffusés à la radio et à la télévision nationale. Le message: une fille est aussi compétente qu’un garçon pour réparer une voiture ou installer un appareil électronique!
Afin de limiter l’abandon des jeunes filles pendant la formation, un accompagnement psychologique et social est mis en place, avec une sensibilisation sur les grossesses non désirées, un suivi scolaire attentif, une implication des parents dans la vie de l’école ou encore le prêt de vélos pour les trajets domicile-centre de formation. Terre des Hommes Suisse soutient également des cours sur les droits des femmes, qui permettent aux jeunes filles de prendre confiance en elles et de s’affirmer davantage. Ensuite, pour favoriser l’insertion des diplômées, le centre met à leur disposition un fonds de micro-crédit – malheureusement encore peu développé – subventionne l’obtention de permis de conduire, aide à la recherche de stage avec opportunité d’emploi et fait don de kits d’installation aux trois premières élèves de chaque promotion.
Suivre les jeunes filles aprèsleur formation
Depuis 2010, Attous a mis en place une équipe chargée de suivre le parcours des jeunes filles une fois qu’elles ont achevé leur formation professionnelle. L’objectif est double. Tout d’abord, pouvoir répondre à des questions comme: Combien d’entre elles ont trouvé un emploi dans leur branche? Combien sont à leur compte? Gagnent- elles un revenu suffisant? Puis, leur proposer des formations complémentaires en recherche d’emploi, informatique et gestion.
Actuellement, quarante-huit de ces femmes sont ainsi en formation à la création de micro-entreprises. Depuis l’ouverture du centre en 1997, 600 élèves ont été formées et 168 sont encore en cours de formation. Deux filles sur trois sont sorties diplômées et 60 % d’entre elles exercent aujourd’hui un métier dans leur domaine de formation, en grande majorité chez un patron. Mais seule une femme sur deux touche au moins le salaire minimum (environ 60 francs suisses).
Le rêve de réussite ne devient pas toujours réalité pour ces jeunes filles pleinement conscientes des difficultés qui les attendent pour faire tomber les préjugés. Leur enthousiasme, leur courage et leur détermination incroyables sont néanmoins une belle leçon de vie.
Lire aussi sur www.terredeshommessuisse.ch/attous-tdhall le point de vue de Claudia Berker, chargée de programmes Afrique pour Terre des Hommes Allemagne qui finance une partie des activités du centre depuis sa création.
(Témoignage)
«Je suis fière de défendre les droits de la femme dans les métiers non traditionnels.»
« Après mes deux années de formation en mécanique auto, j’ai décidé d’ouvrir mon propre atelier. Les problèmes se sont enchaînés, entre l’achat des outils, le lieu d’installation à trouver et surtout la lutte contre les préjugés: la société burkinabè ne voit pas d’un bon œil le travail des femmes dans ces métiers habituellement réservés aux hommes. J’ai dû me battre contre mes parents qui auraient voulu que je devienne fonctionnaire. J’ai tenu bon, et au début, je leur reversais tout l’argent que je gagnais, comme l’aurait fait un garçon. Même mes amis me conseillaient d’abandonner ce sale métier! Aujourd’hui, je gagne ma vie et je suis fière d’aller témoigner de cette réussite. Je dis merci au centre de formation et à ceux qui le soutiennent. » Aminata, 34 ans
Article rédigé par Anne-Céline Machet, tiré du journal Terre des Hommes Suisse n°117, mars 2015