Du désœuvrement à l’émancipation: des alternatives professionnelles pour des jeunes filles et des jeunes garçons d’une banlieue défavorisée de Dakar, au Sénégal.
Du désœuvrement à l’émancipation: des alternatives professionnelles pour des jeunes filles et des jeunes garçons d’une banlieue défavorisée de Dakar.
Le Centre d’Apprentissage Populaire (CAP) a vu le jour en 2012 grâce au partenariat entre Terre des Hommes Suisse et l’ONG sénégalaise ALPHADEV. Le centre offre un programme de mise à niveau et de soutien à l’insertion professionnelle de jeunes déscolarisés ou analphabètes de la banlieue de Dakar, capitale du Sénégal.
Malika est une commune d’arrondissement bordée par l’océan Atlantique. Elle dispose d’une frange côtière où pousse une végétation de filaos et de cocotiers qui fait tout son charme. Paradoxalement, l’unique décharge d’ordures à ciel ouvert de la région de Dakar y est implantée depuis près de 50 ans. Cette décharge sauvage reçoit près de 500 000 tonnes par an de déchets solides ménagers et industriels.
Jadis petite bourgade, Malika connaît aujourd’hui une démographie galopante, conséquence de l’exode rural et de mesures de déguerpissement pour désengorger Dakar. Sa population est estimée à plus de 61 000 habitants pour une densité moyenne de 1368 habitants par km2. Elle se caractérise par sa jeunesse, avec près de 51 % de jeunes de moins de 20 ans.
Vulnérabilité des jeunes
Plus de 3500 personnes (récupérateurs, revendeurs et autres acheteurs de matières récupérées) fréquentent la décharge, avec une forte présence d’enfants et de jeunes.La cohabitation avec les zones d’habitations, d’aviculture, d’élevage et de maraîchage affecte négativement l’environnement et le cadre de vie des résidents. Les enfants et les jeunes sont généralement exposés ou en situation de vulnérabilité. Ablaye* en est un exemple: «Avant, j’étais un délinquant, je fumais, je volais, je me battais et buvais de l’alcool. Depuis que je fréquente le CAP, j’ai tout cessé, j’ai un métier, et je suis bien considéré au sein de ma famille et dans le quartier.»
Une situation de vulnerabilité qui découle également de l’insuffisance des infrastructures scolaires (90 élèves par salle de classe), avec près de 60 % des enfants qui ne terminent pas le cycle élémentaire. D’où l’importance d’investir dans une éducation de qualité et une formation qualifiante, afin d’avoir une génération de jeunes actifs et de lutter contre leur désœuvrement.
Six formations qualifiantes
À ce titre, le Centre d’Apprentissage Populaire offre un service éducatif alternatif et adapté aux besoins des bénéficiaires. Il vient de débuter, en janvier 2018, la formation de la 3e promotion de jeunes de 15 à 20 ans.
Échelonnée sur trois ans, cette formation alterne apprentissage instrumental et formation technique et pratique. Elle intègre une initiation à la vie civique pour préparer les jeunes à devenir des citoyens engagés dans la pleine participation aux activités sociales, économiques et politiques de la communauté. Les jeunes profitent d’un stage d’immersion de 30 jours afin d’opter pour l’une des six filières proposées (mécanique auto, électricité, menuiserie métallique et aluminium, menuiserie bois, coiffure, couture).
Seyni fait partie de la 1re promotion de filles du CAP. Avec un brin d’humour teinté d’émotion, elle se souvient de son enfance d’orpheline, sans possibilité de fréquenter l’école formelle et avec le risque d’être mariée précocement. «J’ai perdu mon père à l’âge de 5 ans. J’ai ensuite été envoyée dans notre village d’origine mais mon état de santé très fragile m’a fait revenir à Malika. J’ai poursuivi mon apprentissage dans une école franco-arabe en fréquentant un atelier de couture du quartier, car très jeune, cela me passionnait déjà. Puis j’ai été informée de l’ouverture du CAP où j’ai pu être retenue suite à des tests de niveau. Au terme de ma formation de trois ans, j’ai obtenu mon certificat d’aptitude professionnelle délivré par le ministère de l’Apprentissage et de la Formation professionnelle. Mon rêve est devenu réalité.»
Le CAP devient la référence pour des centaines de jeunes désœuvrés de Malika et de ses environs: sur les 116 candidats de la 1re et de la 2e promotion, 89 % de jeunes dont 46 % de filles ont obtenu leur certificat. Fatoumata Solly, coordinatrice du CAP, témoigne: «Nous sommes dans un tournant décisif pour l’amélioration de la qualité du programme. Les filles s’intègrent parfaitement dans les filières traditionnellement occupées par les hommes telles que la mécanique auto, la menuiserie métallique et aluminium. Les résultats satisfaisantsde la certification et de l’appui à l’insertion des jeunes filles et garçons, dans des entreprises de la place ou via la création de microentreprises, ont fortement augmenté l’audience du Centre. À l’annonce du recrutement de la 3e promotion, plus de 240 jeunes se sont inscrits pour la pré-sélection ! Cet intérêt est le fruit de changements positifs: aujourd’hui, l’équipe de gestion du programme a une bonne maîtrise de la planification et de l’organisation des sessions de certification. Cela constitue un élément rassurant pour les bénéficiaires et leurs parents. Les enfants ayant obtenu leur certificat font la fierté de leur famille. Les maîtres-artisans, partenaires de premier plan du programme, ont également amélioré leur façon de travailler avec les enfants. Leur statut de «patron» a été transformé en encadreur d’enfants.»
Le défi de l’insertion professionnelle
Aujourd’hui, le défi de ALPHADEV est de permettre aux jeunes qualifiés d’avoir des opportunités d’insertion professionnelle, au risque de grossir le marché des centaines de milliers de jeunes chômeurs. Sur les 104 certifiés, 32 jeunes filles et garçons ont pu s’insérer sur le plan professionnel, soit 26 jeunes recrutés par des entreprises et 6 qui ont créé leur propre microentreprise.
Seyni, Mbène et Sophia, camarades de promotion, ont monté leur atelier de couture. À la suite de leur stage de perfectionnement et d’un contrat de travail dérisoire dans une entreprise de confection de tenues de travail, elles ont décidé de lancer leur activité en mai 2017. Elles ont su mobiliser un fonds de démarrage avec leur épargne et un crédit familial. «À trois, nous nous sommes dit que l’union fait la force. Nos parents nous ont encouragés et soutenus avec des machines à coudre et la mise à disposition d’un local. ALPHADEV nous a apporté des conseils sur le système d’organisation, et accordé un fonds de roulement ainsi que du matériel. La clientèle est pour le moment faible, mais nous ne désespérons pas car tout début est difficile», révèle Seyni avec philosophie.
Les jeunes déjà certifiés se considèrent émancipés, avec une meilleure prise de conscience de leurs droits et devoirs. Ce qui a favorisé leur implication dans le fonctionnement et la promotion du CAP à travers leur association, l’Amicale des bénéficiaires du CAP. Son président, Ndaga Mbaye, affirme: «Nous avons plus de considération au niveau familial et local. Nous portons la voix des jeunes du Centre et nous sommes engagés à apporter un coaching à nos cadets avec des visites à domicile, dans les ateliers, avec une sensibilisation sur les droits et sur des thèmes de citoyenneté, tout en partageant notre modeste savoir-faire par des exercices pratiques dans le salon de coiffure et l’atelier de couture aménagés dans l’enceinte du Centre. Nous avons acquis des compétences, nous savons ce que nous voulons, avec une détermination à aller de l’avant.»
Article rédigé par Sérigne Khadim Dieng, coordinateur national Terre des Hommes Suisse au Sénégal, paru dans le journal Terre des Hommes Suisse n°130, mai 2018
* Prénom fictif