La photo utilisée pour illustrer cet article est une photo d’emprunt et n’est pas une photo de Rumki.
Dans de nombreuses régions de l’Inde, les jeunes filles sont confrontées à une grave stigmatisation sociale due aux normes sociétales et aux préjugés culturels liés aux relations prémaritales, aux mariages précoces, aux grossesses d’adolescentes ou aux accusations de mauvaise conduite. On observe souvent que les filles sont victimes de brimades, d’abus, de négligence, de problèmes de santé mentale, d’un manque de compréhension et d’acceptation, ou d’une multitude d’autres facteurs de risque à la maison.
Afin d’éviter ces situations et de trouver de nouvelles opportunités pour une vie meilleure, les adolescentes quittent leur foyer et deviennent des cibles faciles pour les trafiquants d’êtres humains. Une fois dans la rue, les trafiquants les exploitent en les tentant par de fausses promesses d’emploi, de mariage ou d’une vie meilleure. Mais ce qui est alarmant aujourd’hui, c’est que le nombre de cas de filles disparues de leur famille est en augmentation. Selon le National Crime Records Bureau en Inde, le pourcentage de filles disparues – en comparaison aux garçons – est passé de 65 % en 2016 à 75 % en 2022 au niveau national. En tout, ce sont près de 115’000 enfants qui sont portés disparus en Inde.
Cyberintimidation et fugue : quand la technologie pousse les filles à fuir
Les progrès technologiques ont multiplié les interactions sociales, entraînant des conséquences négatives telles que la cyberintimidation dans les zones urbaines et rurales. Des études montrent que les adolescents victimes de cyberintimidation courent un risque accru de problèmes de santé mentale, notamment de faible estime de soi, de solitude, de dépression et de pensées suicidaires. Les adolescentes sont plus souvent victimes de cyberintimidation que les garçons, ce qui renforce le lien avec les problèmes de santé mentale. Craignant d’être déshonorées par la société, certaines filles peuvent choisir de s’enfuir plutôt que d’affronter des normes oppressives, souvent attirées par de fausses promesses d’une vie et d’opportunités meilleures. Le cas de Rumki (le nom a été changé) illustre cette tendance croissante des filles à s’enfuir pour échapper à la cyberintimidation et au harcèlement social.
Après la mort de son père, Rumki (20 ans) est restée avec son frère aîné et sa mère dans la maison maternelle du village de Borjumla à Murshidabad, au Bengale occidental, en Inde. Les conditions de vie dans la maison maternelle sont difficiles, caractérisées par des contraintes financières.
Le frère aîné de Rumki est le seul soutien de famille, avec un revenu mensuel d’à peine 100 CHF. Sa mère, qui travaille comme raccommodeuse de bidi (cigarettes locales), ne gagne pas plus de 10 francs suisses par mois. Malgré les contraintes financières, Rumki a réussi à terminer sa scolarité et s’est ensuite inscrite à l’université pour obtenir son diplôme. Elle est membre du groupe de jeunes de Murshidabad (sous l’égide du Conseil indien de la jeunesse ou IYC) depuis 2021, soutenu par Shripur Mahila O Khadi Unnayan Samity (SMOKUS) et a fait preuve d’un enthousiasme remarquable et d’une participation active aux actions sociales.
L'amour tourne au cauchemar, Rumki victime de violence
Le parcours de Rumki a pris une tournure inquiétante lorsqu’elle s’est engagée dans une relation amoureuse avec un jeune garçon d’un village voisin. Cette relation est devenue une source d’inquiétude importante, car son partenaire a adopté un comportement rigide, limitant sa liberté d’interagir avec les autres et de se déplacer librement. La situation s’est aggravée lorsqu’elle a été victime d’une agression physique de la part de son partenaire.
Pour ajouter à la détresse de Rumki, elle a également été victime de cyberintimidation, le garçon ayant pris des photos d’elle sans son consentement et les ayant publiées sur des plateformes de médias sociaux, l’exposant ainsi au harcèlement et à l’embarras social. Rumki a souffert d’une grave dépression et sa famille a dû faire face aux moqueries et aux insultes des voisins et de la communauté, ce qui a aggravé son angoisse mentale.
Dans cette situation, Rumki a contacté par téléphone une personne de son village qui vivait dans la ville d’Hyderabad, située dans le sud de l’Inde, et lui a promis de l’aider à lui assurer une carrière prometteuse. Convaincue par cette assurance et d’autres facteurs, elle a pris la décision radicale de s’enfuir de chez elle.
Rumki en fuite
Avec une somme d’argent limitée, Rumki a quitté son domicile le 30 décembre 2023, avec l’intention de se rendre à Hyderabad. Elle prend un train de sa ville natale à Sealdah, mais celui-ci ne va qu’à Berhampur, une gare voisine où elle passe la nuit seule dans la salle d’attente de la gare. Le 31 décembre, elle a pris un autre train pour se rendre à Kolkata. Arrivée à Kolkata au petit matin du 1er janvier 2024, elle est restée à la gare.
Incapable de réserver seule un billet de train pour Hyderabad, elle a contacté un jeune de la région, Sourabh Kumar Shaw, à Kolkata, par téléphone dans la soirée, pour lui demander de l’aide.
Sourabh est un jeune membre lié à l’organisation partenaire de TdH Suisse, le Development Research Communication and Services Centre (DRCSC) à Kolkata, et un membre actif du Conseil indien de la jeunesse (IYC). Après avoir reçu l’appel, Saurabh et d’autres jeunes membres se sont rendus à la gare pour la rencontrer.
Après avoir rencontré Rumki, les membres de l’IYC ont compris les circonstances et son intention de quitter l’État par tous les moyens pour échapper à sa situation difficile. Les jeunes membres ont perçu le risque potentiel qu’elle devienne la proie d’un réseau de traite des êtres humains si elle décidait de s’installer seule dans la ville inconnue d’Hyderabad.
Le soutien du conseil des jeunes
Afin de donner à la famille de Rumki le temps de se rendre à Kolkata le lendemain matin, les membres de l’IYC ont agi alors qu’ils s’occupaient de son billet pour Hyderabad le jour suivant et ont persuadé Rumki de rester à la résidence de Shashi Ojha, un enseignant du Support Education Centre.
Les membres de l’équipe du DRCSC ont organisé une séance de conseil pour Rumki, lui apportant un soutien professionnel pour l’aider à surmonter les difficultés qu’elle rencontre. Au cours de cette séance, elle a révélé qu’elle était victime de cyberintimidation, ce qui entraînait un stress mental considérable pour elle et sa famille. Pour mettre sa famille à l’abri de la détresse, elle a choisi de quitter son domicile et de commencer une nouvelle vie dans une autre ville.
Toutefois, le conseiller a insisté sur les risques potentiels de faire confiance à des inconnus et sur le danger de se faire piéger dans un trafic d’êtres humains. Il a été mentionné que tout cas de cyberintimidation devrait être rapidement signalé à la police, afin que les auteurs puissent être tenus pour responsables.
L'importance du soutien communautaire dans le retour de Rumki
Le 2 janvier 2024, le frère de Rumki, accompagné d’une femme membre de l’équipe SMOKUS (partenaire de Terre des Hommes Suisse), est arrivé à Kolkata. Après une brève séance de conseil et une conversation avec son frère, Rumki a été convaincue des risques et de la mauvaise décision qu’elle avait prise, mais elle a accepté de rentrer chez elle. Cet épisode souligne le rôle crucial du soutien de la communauté, en particulier pour les enfants et les adolescents confrontés à des circonstances difficiles. Les membres de l’IYC ont joué un rôle louable en empêchant Rumki de subir des dommages importants, soulignant ainsi l’engagement de l’IYC à défendre les droits de l’enfant et à fournir un environnement protecteur à ses jeunes membres.
L’action de Terre des Hommes Suisse en Inde
L’incident met en évidence le besoin pressant d’aborder les questions liées à la sécurité personnelle, au consentement et à la consommation responsable des médias. En novembre 2023, des sessions virtuelles de renforcement des capacités ont été organisées par TdH Suisse India NC afin d’améliorer les compétences de certains jeunes et animateurs communautaires.
Dans le cadre de l’IYC, TdH Suisse soutient 60 groupes de jeunes avec plus de 1100 membres dans quatre états de l’Inde, leur offrant une plateforme pour aborder et combattre les défis tout en encourageant un environnement favorable à l’autonomisation des jeunes individus.