Les coordinateurs régionaux de Terre des Hommes Suisse s’expriment sur la question des droits de l’enfant
Terre des Hommes Suisse a décidé de renforcer la coordination de ses actions dans ses trois zones géographiques d’intervention (Afrique-Haïti, Amérique latine et Inde) par la création, depuis 2013, de coordinations régionales. Aujourd’hui, trois coordinateurs régionaux assurent un relais entre les équipes nationales d’une zone et le siège. Ainsi, les bonnes pratiques développées par des partenaires dans un pays sont plus facilement répliquées dans un autre pays où les réalités sont certes différentes mais où les enjeux en matière de droits de l’enfant restent similaires. Les coordinateurs régionaux soutiennent également les équipes nationales dans la définition des orientations stratégiques du programme de Terre des Hommes Suisse, ce grâce à leur connaissance accrue des réalités de l’ensemble de la zone.
En novembre dernier à Genève étaient réunis Vincent Kaboré (VK), coordinateur régional Afrique-Haïti, Efraín Botero (EB), coordinateur régional Amérique latine, en particulier coordinateur national Colombie, et Ashish Ghosh (AG), coordinateur régional Inde. Ils ont répondu à deux questions concernant la réalité et la promotion des droits de l’enfant dans leur région respective.
Quels sont les principaux défis à relever en matière de droits de l’enfant dans ta région?
Vincent Kaboré (VK), coordinateur régional Afrique-Haïti
Au niveau de la région Afrique-Haïti, les principaux défis à relever en matière de droits de l’enfant concernent surtout l’application des textes et des lois existants et adoptés par les pays. La majeure partie des textes et des conventions internationales sur les droits de l’enfant sont adoptés ou ratifiés par les États de la région, mais sont peu ou pas appliqués. La conscience collective est encore peu éveillée par rapport à certains droits de l’enfant. Le simple droit à l’existence à travers l’établissement d’un acte d’état civil à la naissance n’est même pas assuré pour des milliers d’enfants. Les droits fondamentaux (alimentation, santé, éducation) sont encore à conquérir pour beaucoup d’enfants au regard du contexte de pauvreté et d’ignorance qui prévaut.
Certaines pesanteurs socioculturelles, tels que le déni du droit à la parole pour des enfants en présence d’adultes ou la banalisation de certaines violences telles que les châtiments corporels ou les violences psychologiques, sont également des freins à l’exercice des droits de l’enfant.
Efraín Botero (EB), coordinateur régional Amérique latine, en particulier coordinateur national Colombie.
Les principaux défis pour les enfants en Amérique latine concernent la façon de faire face aux multiples violences qui les affectent. De récentes études sur l’enfance dans la région mettent en évidence des réalités chaque fois plus préoccupantes de violences à leur encontre: violences sexuelles, violences physiques, leur recrutement par les groupes armés, le trafic de jeunes filles et l’exploitation au travail. Les mesures de protection étatiques suivent les vieux schémas des décennies précédentes, avec des réponses insuffisantes dans la plupart des pays de la région Latino-Américaine et un fort taux de revictimisation et d’impunité qui pourraient se comparer aux États en faillite.
Devant ces grands défis, les enfants et les jeunes de la région assument chaque fois plus leur rôle de protagonistes. Avec la mise en évidence d’États peu efficaces en matière de protection et des noyaux familiaux fragiles, qui ne peuvent pas non plus assurer leur rôle de protection, aujourd’hui ce sont les enfants et les jeunes eux-mêmes qui se forment, s’organisent et recherchent l’accompagnement des organisations sociales pour transformer leur environnement familial, scolaire et communautaire en espaces plus favorables à leur protection. Pour cela, le renforcement l’organisation pour la participation est un autre défi important pour les enfants et les jeunes d’Amérique latine.
Ashish Ghosh (AG), coordinateur régional Inde
Les défis auxquels font face les enfants en Inde sont nombreux en termes de survie, de développement, de protection et de participation ; en particulier, ils concernent aux enfants marginalisés (handicapés, pauvres, tribaux, sans-abri, mineurs en conflit avec la loi, victimes de la traite et d’abus sexuels, etc.). En Inde, il existe des lois pour nos enfants, mais le niveau et la qualité de leur mise en œuvre sont une grande question. En plus, les normes sociales profondément enracinées, les croyances traditionnelles malsaines, le comportement et la connaissance des gens du peuple sont quelques-uns des défis pour lesquels les droits des enfants sont constamment niés. Il y a également un manque de volonté politique de la part des différents partis politique ; les questions relatives aux enfants ne sont priorisées par aucun gouvernement, sauf dans le cas de quelques actes en faveur des enfants.
Le gouvernement a fait des pas significatifs dans les dernières années pour améliorer l’implémenter les droits de l’enfant. La Cour Suprême a confirmé la décision du gouvernement de rendre universel l’accès à l’éducation primaire, demandant à ce que les écoles privées réservent 25% de leurs effectifs à des enfants défavorisés. En 2012, le Parlement a voté une nouvelle loi pour protéger les enfants des abus sexuels. La même année, le gouvernement a interdit d’employer les enfants en dessous de 14 ans, remplaçant une loi qui interdisait uniquement leur emploi dans des travaux dangereux. Toutefois, le gouvernement doit maintenant mettre en place des programmes efficaces et efficients sur ces thèmes. On peut relever que l’Inde a une forte législation en matière de protection des droits, mais subit une corruption aiguë et profondément enracinée, et un manque de responsabilité qui augmente la vulnérabilité des enfants dans la société.
Quelles sont les approches mises en œuvre par les partenaires de Terre des Hommes Suisse pour que les choses changent sur le long terme?
VK. À travers ses partenaires en Afrique et dans les Caraïbes, Terre des Hommes Suisse propose la promotion de deux droits fondamentaux que sont le droit à l’alimentation (cantines scolaires en Haïti, récupération nutritionnelle et promotion de la sécurité alimentaire au Burkina Faso par exemple) et le droit à l’éducation (formation professionnelle de jeunes non scolarisés ou déscolarisés au Sénégal et au Mali notamment). Terre des Hommes Suisse protège aussi les enfants contre les pires formes de travail, en particulier dans les mines d’orpaillage ou le travail domestique, et contre les violences associées ou non aux pires formes de travail.
Les approches qui sont mises en œuvre visent surtout la transformation des acteurs que sont les partenaires de la société civile, les enfants et les jeunes eux-mêmes, pour qu’ils deviennent de vrais acteurs de changement en faveur de l’effectivité des droits des enfants. Dans ces approches, les «acteurs leviers» des changements dans la société, tels que les leaders communautaires, les enseignants, les familles, les autorités administratives ou religieuses, sont fortement impliqués pour assurer la durabilité des changements recherchés.
EB. En Amérique latine, Terre des Hommes Suisse propose un travail sur différents niveaux. Premièrement, la formation et l’accompagnement des enfants et des jeunes, l’appui à certaines de leurs initiatives personnelles et communautaires, et la promotion et l’accompagnement de processus organisationnels. Parallèlement se mène un travail avec les autres acteurs qui constituent leur entourage proche: les familles (sous-entendu toutes les personnes proches, qui vivent avec eux et qui peuvent se convertir en acteurs de protection de leur vie et de leurs droits, le terme famille est donc à concevoir dans une vision plus large qu’uniquement le père et la mère, qui parfois ne sont pas présents), l’école, la communauté et l’État.
AG. Terre des Hommes Suisse se concentre sur trois principaux domaines d’action en Inde: le droit à l’alimentation, le droit à l’éducation et la lutte contre le travail des enfants. Pour cela, Terre des Hommes Suisse donne la priorité à la participation des enfants et des jeunes dans leur communauté comme dans leur famille.
L’approche de Terre des Hommes Suisse est toujours basée sur la durabilité. À travers nos interventions (club d’enfants, centres éducatifs ou de formation, pratiques agricoles et d’élevage, groupes de femmes, moyens de subsistances alternatifs, campagnes), nous cherchons à obtenir des changements qualitatifs et quantitatifs dans la vie des bénéficiaires, en ce qui concerne la sécurité alimentaire, la qualité d’éducation ou pour retirer les enfants des pires formes de travail. Ces changements doivent être durables et basés sur le respect des droits. Terre des Hommes Suisse travaille aussi avec des groupes de jeunes en Inde, en les motivant et en les aidant à s’organiser pour faire évoluer un mouvement de la jeunesse national ou indépendant. Nous sommes convaincus que les jeunes sont les vrais acteurs du changement de la société.
Propos recueillis par Souad von Allmen, novembre 2017, avec la collaboration de Séverine Ramis et Miriam Picazo Garcia