Les écoliers participent à la gestion des risques de catastrophes en Haïti.
Les écoliers participent à la gestion des risques de catastrophes en Haïti
Les catastrophes ne sont pas une fatalité, y compris en Haïti. Quatre-mille enfants participent à la prévention des risques et à la réponse en cas de désastre dans leurs établissements scolaires et leurs foyers d’accueil, avec le soutien de Terre des Hommes Suisse et de la Chaîne du Bonheur.
La veille du passage de l’ouragan Matthew en Haïti, en octobre 2016, l’humeur générale dans la capitale Port-au-Prince était plutôt à l’insouciance. Certains disaient: «Ils annoncent toujours des cyclones, et après, il ne se passe rien.» Pourtant, la furie de vent et de pluie qui s’est abattue cette nuit-là, à 230 km/h, a fait des centaines de morts et de blessés, affecté plus de deux millions de personnes, endommagé 200 000 maisons et des centaines d’écoles, touché de nombreux hôpitaux, ravivé une épidémie de choléra et emporté les moyens de subsistance d’une population encore traumatisée par le tremblement de terre de janvier 2010.
Saison cyclonique 2018 dans un contexte politique et social incertain
Cette année, la saison cyclonique (juin à novembre) a démarré en Haïti dans un contexte politique et social particulièrement tendu. Le 6 juillet, alors que la météo haïtienne annonçait l’arrivée dans les Antilles de Beryl, le premier ouragan de la saison, des émeutes éclataient à travers le pays après les quarts de finale de la Coupe du monde de football. Elles ont semé le chaos dans le pays pendant trois jours.
L’étincelle qui a mis le feu aux poudres n’est pas la défaite du Brésil face à la Belgique, mais l’annonce par le gouvernement d’une augmentation des prix du carburant et des transports publics. Les violences et pillages qui ont suivi ont forcé la population à rester cloîtrée chez elle pendant plusieurs jours, et pour certains, à dormir sur leur lieu de travail et dans les restaurants. Cette situation de tension a finalement poussé à la démission le Premier ministre haïtien, Jack Guy Lafontant, le 14 juillet.
Quelques semaines plus tôt, les préparatifs pour la nouvelle saison cyclonique avaient été lancés officiellement avec les représentants du gouvernement, de la Croix-Rouge et de la Protection civile, ainsi que les membres du Système national de gestion des risques et désastres. Selon Jean Pharès Jérôme, professeur à l’Université d’État d’Haïti et journaliste au Nouvelliste, le plus ancien quotidien du pays, «Les Haïtiens portent une meilleure attention à la saison cyclonique, sans doute à cause des catastrophes récurrentes que le pays a connues au cours des dernières années.» Il ajoute: «Les gens vont rester attentifs. Même s’il n’y a pas de gouvernement légitime pendant le passage d’un cyclone, le gouvernement démissionnaire a des provisions légales pour agir.»
Catastrophes liées aux conditions économiques et sociales
Comme toute la région des Caraïbes, Haïti est exposée, du fait de sa position géographique, aux risques de cyclones et de tremblements de terre. Les inondations et les glissements de terrain y sont également fréquents, comme dans les îles voisines, en raison des fortes pluies tropicales qui provoquent la crue soudaine des rivières et favorisent les éboulements dans les zones montagneuses.
Mais ce qui rend Haïti particulièrement vulnérable aux catastrophes, c’est surtout le contexte économique et social du pays. D’après la Banque mondiale, sur six millions d’habitants, près de 60% vivent sous le seuil de pauvreté (moins de 2,41 dollars par jour), et 24% sous le seuil de pauvreté extrême (moins de 1,23 dollar par jour). L’institution qualifie également Haïti comme «l’un des pays les plus inégalitaires de la planète».
Vivre dans un logement sûr y est un luxe. La majeure partie de la population n’a pas les moyens de construire ou de renforcer sa maison contre les catastrophes, ni de payer des primes d’assurance exorbitantes. De plus, dans ce pays qui est devenu le troisième le plus urbanisé d’Amérique latine et des Caraïbes, la pauvreté, le manque de contrôle et la corruption favorisent le développement anarchique d’habitations à la construction peu sûre dans des lieux à risque.
Les catastrophes dites «naturelles» ne sont cependant pas une fatalité. Il y a certes des phénomènes extrêmes qui surviennent de façon soudaine, comme le séisme de 2010, et qui peuvent être très destructeurs dans n’importe quel pays. Mais il est possible d’agir pour réduire l’exposition à ces risques et ces dégâts, y compris dans un pays marqué par la pauvreté comme Haïti. « Après l’ouragan Matthew, nous avons été impressionnés par la rapidité de la mobilisation de nos organisations partenaires, qui ont pu mettre tout de suite en pratique un plan de réponse », souligne Guerty Aimé, coordinatrice nationale de Terre des Hommes Suisse en Haïti.
Vu le coût de construction de maisons individuelles antisismiques et anticycloniques, les efforts se concentrent le plus souvent sur des solutions collectives, comme la prévention au niveau des écoles, qui, en Haïti, peuvent aussi servir d’abris en cas de catastrophe, ainsi que sur les bons réflexes que ce soit en termes de préparation, d’alerte ou de mise en sécurité.
La Suisse joue un rôle important dans ce domaine. Des modèles d’écoles résistantes aux ouragans et aux séismes développés par la Direction du développement et de la coopération (DDC) ont été adoptés comme standard national par le gouvernement haïtien. Ces dernières années, par ailleurs, des professeurs de l’Université de Genève comme Jean-Jacques Wagner et Corine Frischknecht, ainsi que des spécialistes en éducation comme Isabelle Nicolazzi, ont collaboré bénévolement, avec leurs homologues haïtiens, à la mise en place d’un système de réduction des risques de catastrophe dans les écoles, basé sur la formation des enseignants et des élèves.
Programme « Nou Pare » (« Nous sommes prêts »)
Les écoliers haïtiens ont été particulièrement affectés par les événements de cette dernière décennie: l’ouragan Matthew a endommagé près de 800 établissements scolaires, alors que 4000 écoles avaient été détruites par le séisme.
Un habitant de Port-au-Prince a raconté avec émotion comment il a vu disparaître en un instant une école de plusieurs étages lors du tremblement de terre. Il marchait dans la rue et regardait des écoliers circuler sur les galeries extérieures de leur établissement, quand le sol a commencé «à monter et à descendre comme des vagues». Lorsqu’il a regardé à nouveau, «le bâtiment où se trouvaient les élèves avait disparu, les étages s’étaient effondrés à plat les uns sur les autres».
Dans Le Nouvelliste, le directeur du Lycée national de Pétion-Ville a témoigné de la panique qui a saisi les élèves ce jour-là: «Ici dans cet établissement, paniqués par les violentes secousses, des enfants ont sauté depuis le deuxième étage pour se jeter dans la rue; certains sont morts, d’autres sont sortis avec de graves blessures.»
Ce lycée fait aujourd’hui partie d’un réseau d’établissements scolaires et de foyers d’accueil haïtiens qui ont mis en place un programme pour réduire les risques de catastrophes, baptisé «Nou Pare». Sa particularité : les enfants en sont les acteurs principaux. Ils apprennent les réflexes et les décisions qui sauvent, et sont capables de les transmettre à leur tour à leur famille et à d’autres écoliers. Au total, ce sont 4000 enfants dans 32 écoles qui participent à ce programme mené par Terre des Hommes Suisse depuis 2014, avec le soutien financier de la Chaîne du Bonheur.
Les enfants et les jeunes au cœur des actions de prévention
Que faire lors d’un événement potentiellement catastrophique? Où se réfugier? Comment prévenir les risques en développant un plan de contingence? Les élèves sont d’abord formés en classe à la gestion des risques et des désastres, à l’aide d’une méthode active et participative conçue spécialement pour eux. Ils s’impliquent ensuite dans la sensibilisation d’autres écoles et de leur communauté, à travers des exposés, des exercices d’évacuation, des activités de gestion de déchets.
Ils organisent aussi des ateliers créatifs de peinture, de danse, de théâtre ou de chant. Dans ce pays qui s’est souvent illustré en matière artistique et culturelle, les enfants sont particulièrement habiles pour transmettre des messages de prévention sous cette forme ! Certains ont même reproduit en peinture le plan d’évacuation sur le mur de leur foyer d’accueil.
Les enfants sont encouragés à développer le sens des responsabilités, la réflexion critique, le débat. Une démarche importante, car, en Haïti, le système scolaire est surtout basé sur l’apprentissage par cœur et une soumission extrême à l’autorité. Le programme met aussi l’accent sur l’écoute, l’empathie, l’esprit de coopération et de partage, des valeurs nécessaires pour transformer un pays dans lequel, d’après de nombreux observateurs, l’intérêt général est une notion pratiquement absente.
Dans toute cette démarche, les questions de développement durable ne sont jamais très loin. En effet, un environnement dégradé ou mal entretenu augmente les risques d’inondations ou d’éboulements lors d’événements climatiques ou géologiques extrêmes. Les élèves participent donc aussi à des activités de protection de leur environnement. Filles et garçons ramassent les ordures et nettoient les rivières, les sources et les canaux d’irrigation pour réduire les risques d’inondations. Ils entretiennent des pépinières et plantent des arbres et des bambous pour lutter contre l’érosion.
Ainsi, face à des phénomènes naturels qui peuvent atteindre une force inouïe, les enfants et les jeunes sont dans l’action. Ils connaissent les gestes qui sauvent et mobilisent leur communauté pour qu’elle soit mieux préparée à affronter des menaces futures.
***
«Nou Pare» met hors d’état de nuire des bandits durant les émeutes de juillet en Haïti
Le système «Nou Pare», qui intègre également la gestion des risques sécuritaires, a pu faire ses preuves lors des récentes émeutes déclenchées en même temps que la première alerte cyclonique de la saison.
Une jeune pensionnaire du Foyer Notre-Dame-de-Lourdes, un centre d’accueil situé à Croix-des-Bouquets, à une douzaine de kilomètres au nord-est de la capitale Port-au-Prince, raconte: «Quand j’ai appris que toutes les rues étaient bloquées, avec des barricades érigées par des pneus enflammés, j’ai eu très peur de la situation. J’ai vu de grosses fumées noires qui montaient vers le ciel. Quand j’ai entendu que les gens pillaient des magasins, j’avais peur qu’ils ne viennent au Foyer pour prendre notre nourriture, nos vêtements, pour qu’ils nous frappent ou nous violent. Mais, je me suis sentie rassurée et j’étais contente quand j’ai vu les jeunes s’assurer de la préservation de notre site refuge. Grâce au programme de gestion de risques et de désastres de Terre des Hommes Suisse, nous avions un plan. Nous savions ce qu’il fallait faire. Nous avons réussi à échapper à l’attaque de ces bandits.»
Article rédigé par Elena Sartorius, journaliste indépendante, en collaboration avec Terre des Hommes Suisse, août 2018