Journée mondiale de l’enfant africain: halte à la violence !

En Afrique, les plus jeunes doivent faire face à de nombreux défis, en particulier la violence. La Journée mondiale de l’enfant africain du 16 juin est l’occasion de faire le point sur la situation et parler de la mobilisation des jeunes.

En Afrique, les plus jeunes doivent faire face à de nombreux défis, en particulier la violence. Des millions d’enfants en sont victimes au quotidien. Certains ont pris la parole pour dire stop, comme au Sénégal, où une vague d’enlèvements, viols et assassinats sème la psychose depuis le début de l’année. La Journée mondiale de l’enfant africain le 16 juin est l’occasion de faire le point sur la situation.

Une photo prise un 16 juin par le Sud-Africain Sam Nzima a fait le tour du monde. Celle d’un enfant de 13 ans gisant dans les bras d’un jeune homme, sous le regard éperdu de sa sœur. Hector Pieterson est l’une des premières victimes du «Massacre de Soweto». C’était en 1976, des milliers d’élèves noirs descendaient dans la rue, près de Johannesburg. Ils protestaient contre l’imposition dans leurs écoles de l’afrikaans – la langue du régime ségrégationniste de l’apartheid de l’époque. La réponse des autorités à leur marche, qui se voulait pacifique, est sanglante: des centaines d’enfants et de jeunes sont tués ce jour-là, abattus par la police.

La Journée mondiale de l’enfant africain, célébrée le 16 juin en hommage à ces jeunes victimes, met à l’honneur les enfants d’Afrique, un continent où près de la moitié de la population, soit un demi-milliard de personnes, a moins de 18 ans. Instaurée par l’Organisation de l’Unité Africaine (aujourd’hui Union Africaine) en 1991, elle est l’occasion de mener une réflexion en vue de protéger cette jeune population qui fait face à de nombreux défis.

Parmi les atteintes aux droits des enfants, la violence, sous toutes ses formes: châtiments corporels à la maison, abus sexuels par des proches, agressions sur le chemin de l’école ou violations les plus graves des droits de l’enfant dans les zones de conflits, des millions d’enfants subissent tous les jours des violences physiques, psychologiques ou sexuelles. Celles-ci affectent leur santé et compromettent leur scolarité, donc leurs chances d’avenir.

Ces violences vont souvent de pair avec des phénomènes comme l’urbanisation, l’accroissement des inégalités, l’éclatement des familles, ou des coutumes traditionnelles non conformes aux droits de l’enfant, comme les mutilations génitales. Les enfants les plus exposés manquent généralement d’un cadre familial protecteur: vivant dans la rue, placés dans des institutions ou travaillant comme domestiques dans des familles plus aisées, ils sont particulièrement vulnérables et souvent abusés. Tout comme les enfants handicapés, fortement discriminés.

Enlèvements et meurtres au Sénégal: les enfants disent stop!
Au Sénégal, la situation des enfants est particulièrement préoccupante. Une récente vague d’enlèvements, de viols et de meurtres d’enfants, largement relayée dans la presse, a créé une psychose chez une population qui n’avait pas l’habitude de fermer sa porte à clé. La plus jeune victime était âgée de deux ans.

Le ras-le-bol face à ces crimes a fait descendre les gens dans la rue, dont beaucoup de femmes et d’enfants. Plusieurs manifestations ont eu lieu à Dakar et dans sa banlieue. En avril dernier, des enfants ont pris la parole à l’issue d’une marche de protestation, pour dénoncer ces violences et demander aux autorités d’assurer leur sécurité.

À l’aise devant la foule, les caméras et les autorités locales, une jeune fille drapée dans un tissu à fleurs a rappelé haut et fort les noms des enfants enlevés, violés et assassinés, avant de demander à chacun de prendre ses responsabilités. À l’État, de «poursuivre et sanctionner sévèrement les auteurs» de ces crimes, «d’assurer la prise en charge totale des victimes», et de «redynamiser le parlement national des enfants»; aux collectivités, de « renforcer l’éclairage public dans les quartiers»; aux ONG, de «renforcer le plaidoyer pour l’application des lois» protégeant les enfants; aux parents, «de renforcer la surveillance de leurs enfants»; et enfin, aux enfants, «d’éviter les mauvaises fréquentations», «de ne pas aller jouer loin de leurs maisons», et de «rester dans la cour de l’école pendant les récréations».

Les enfants de cette «Caravane de sensibilisation» faisaient partie des Clubs mis sur pied par EDEN, une association sénégalaise très active dans la protection des droits de l’enfant. Soutenue par Terre des Hommes Suisse, l’organisation vise à ce que les enfants, en particulier les plus marginalisés, puissent s’affirmer et prendre leur place dans la société. Dans un environnement sécurisé, elle offre à des milliers d’enfants et d’adolescents de la banlieue de Dakar des animations socio-éducatives axées sur les droits de l’enfant.  Ils apprennent à identifier les risques d’abus, à favoriser leur signalement et à orienter les victimes vers les services concernés. Ils jouissent aussi d’un soutien parascolaire adapté à leurs besoins.

Le Sénégal est un pays de contradictions. Politiquement stable, pôle économique d’Afrique de l’Ouest dynamique avec une croissance de 6.8% en 2018, il y existe cependant beaucoup d’inégalités. Avec un taux de pauvreté de 47%, le pays est classé 162e sur 188, d’après l’Indice de développement humain.

Comme beaucoup de nations, le Sénégal a adopté des lois et des politiques en faveur du bien-être des enfants. Il a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant en 1990 et s’est doté en 2013 d’une stratégie nationale de protection de l’enfant. Sur le plan social, les enfants de familles à bas revenus bénéficient d’un programme de bourses familiales tandis que la couverture maladie universelle assure la gratuité des soins à tous les enfants âgés de 0 à 5 ans.

Mais faute de ressources financières et humaines adéquates, les politiques prévues pour protéger les enfants restent souvent sans effet. Les plus jeunes continuent à subir la maltraitance, la négligence, l’exploitation et la violence au quotidien.

L’éducation et la participation citoyenne comme levier
La scolarité est obligatoire au Sénégal pour tous les enfants des deux sexes âgés de 6 à 16 ans. Pourtant, un tiers des enfants ne vont pas à l’école, et environ 60% seulement des enfants inscrits terminent le primaire. Seuls 8% des jeunes filles et 13% des garçons suivent des études supérieures. Au total, entre 700 000 et un million d’enfants sont déscolarisés.

Lors des manifestations contre les violences à Dakar, les enfants ne se sont pas contentés d’être simplement des sujets de protection. La Convention internationale leur donne «le droit d’exprimer librement [leur] opinion sur toute question [les] intéressant ». Encore faut-il qu’ils sachent comment. Aïssatou, une jeune membre des Clubs EDEN, a sa réponse: «Après avoir participé à la formation sur les droits de l’enfant, je me sens maintenant paire-éducatrice. C’est à notre tour maintenant de transmettre nos connaissances à nos  amis, et même à nos parents.»

En cette Journée mondiale de l’enfant africain, il est bon de rappeler qu’un enfant instruit, qui connaît ses droits et peut les faire valoir, est un enfant mieux prémuni contre la violence. À la famille, aux communautés, aux organisations et aux États de faire leur part pour lui garantir un environnement sûr.

Article rédigé par Elena Sartorius, journaliste indépendante, en collaboration avec Terre des Hommes Suisse

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Encadré
Terre des Hommes Suisse et les droits de l’enfant au Sénégal

Deux défenseurs des droits de l’enfant en Afrique, Vincent Kaboré et Serigne Khadim Dieng, respectivement coordinateur régional (Afrique-Caraïbes) et coordinateur national (Sénégal) de Terre des Hommes Suisse, étaient récemment de passage à Genève. Ils ont répondu à nos questions.

Quels sont les principaux cas de violences sur les enfants au Sénégal?
Au Bureau d’accueil, d’écoute et d’orientation mis sur pied par l’organisation sénégalaise EDEN, avec l’appui de Terre des Hommes Suisse, les cas les plus nombreux ont trait à la violence psychologique et à la négligence parentale. Le Bureau reçoit également des enfants victimes de châtiments corporels, de maltraitance, d’abus sexuels et d’inceste. Récemment, le pays a connu une vague de crimes liés à des pratiques mystiques contre des enfants. Il y a eu une levée de boucliers.

Que fait Terre des Hommes Suisse pour protéger les enfants?
Nous mettons l’accent sur l’éducation et la participation. Les enfants apprennent à connaître leurs droits au travers des formations, de causeries de quartier, d’olympiades, de jeux de rôle. Ils se familiarisent aussi avec les textes juridiques. Ils peuvent identifier ce qui a trait à leurs droits dans la vie courante et à dénoncer les abus. Le plaidoyer et la mobilisation sont également très importants. Les Club EDEN ont un comité d’experts, formé d’une quinzaine de jeunes maîtrisant bien le domaine des droits de l’homme et de l’enfant, et capables d’interpeler les autorités, les parents et la presse.

Y a-t-il une amélioration de la situation des enfants en Afrique?
La perception de l’enfant en Afrique est en train d’évoluer. En ville, où les familles ont peu d’enfants, il y a une prise de conscience progressive sur ce que l’enfant est capable de faire ou non. Il n’y a pratiquement pas un jour où la question des droits de l’enfant ne soit abordée dans les journaux ou par les autorités. Malgré cela, les initiatives portées par les autorités n’obtiennent pas suffisamment de résultats concrets pour protéger les jeunes. En particulier, dans le domaine du travail des enfants, de la mendicité ou de la prostitution des adolescentes, un phénomène qui prend de l’ampleur. Il y a cependant quelques avancées. Au Sénégal, les auteurs de violences sont signalés et dénoncés. Par exemple, la loi punit rigoureusement les violeurs, qui encourent au minimum 10 ans de prison. Cela a été un travail de longue haleine.

Basée à Genève, Terre des Hommes Suisse promeut les droits de l’enfant dans 10 pays, dont  la Suisse. Au  Sénégal, elle soutient trois organisations locales de protection de l’enfance: EDEN, Alphadev et Ndeyi Jirim.

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Encadré
Droits de l’enfant en Afrique: des chiffres qui donnent froid dans le dos

Centrée cette année autour du thème «Aucun enfant laissé pour compte pour le développement de l’Afrique», en référence aux Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, cette Journée mondiale cible avant tout les enfants qui ne profitent pas de la croissance et du développement en Afrique.

De nombreux pays africains ont connu une croissance sans précédent ces dernières années. Mais malgré les progrès, les inégalités se creusent. Deux-tiers des enfants africains, dont près de 250 millions d’enfants en Afrique subsaharienne, sont toujours privés de leurs droits élémentaires en matière d’accès à l’alimentation, la santé, l’eau potable, l’éducation, ou le logement, d’après UNICEF.

D’autres chiffres donnent également froid dans le dos: près de 60 millions d’enfants souffrent d’un retard de croissance, avec des conséquences à vie sur le développement de leur cerveau; 34 millions d’enfants ne sont pas solarisés; des millions d’enfants sont victimes de violences chaque année; en Afrique subsaharienne, le VIH/Sida est la principale cause de mortalité des enfants et des adolescents.

Les taux de mortalité infantile et de pauvreté ont été fortement réduits en Afrique depuis les années 2000 et l’adoption des objectifs du Millénaire pour le développement et de l’Agenda 2030, mais plus de 10’000 enfants y meurent encore chaque jour de maladies évitables. Et en nombre absolus, il y a plus d’enfants aujourd’hui vivant dans une extrême pauvreté, en raison de la forte croissance démographique du continent: d’ici 2050, la population africaine aura en effet plus que doublé, passant d’un milliard à plus de deux milliards de personnes.Les enfants et adolescents africains sont confrontés à d’autres défis liés au contexte économique, social et culturel dans lequel ils vivent.

Des millions de filles subissent des mutilations génitales, souvent avant l’âge de 4 ans, ou sont mariées avant l’âge de 18 ans, généralement de force. Dans sept pays d’Afrique (Egypte, Ethiopie, Guinée, Mali, Sierra Leone, Somalie et Soudan), plus de 80% des femmes ont subi des mutilations génitales. Des violations graves des droits de l’enfant (enlèvement d’écolières, enrôlement d’enfants-soldats, viols, meurtres) sont en outre commises dans les zones de conflits, qui affectent une vingtaine de pays africains.

Mais il y a une prise de conscience croissante dans la société et les jeunes se se mobilisent aujourd’hui pour défendre eux-mêmes leurs droits.

Sources principales: Africa Sustainable Development Report (2017), African Report on Violence against Children (The African Policy Forum, 2014), Rapport africain sur le bien-être de l’enfant (2016), Rapport sur la situation de l’enfant dans le monde (UNICEF, 2016), Terre des Hommes Suisse au Sénégal,  Stratégie nationale de protection de l’enfant (Sénégal), UNESCO