La dignité de l’homme passe par la satisfaction de ses droits fondamentaux. L’accès à l’eau est l’un de ses droits premiers car la nature y pourvoit généreusement. Pourtant, l’eau arrive à manquer, à être polluée, à être vendue en surenchère sur la Terre des hommes. Est-ce une calamité ou une mauvaise plaisanterie? Cette planète entourée d’eau ne peut satisfaire les besoins du vivant, pourquoi ? Cette question ferait l’objet d’un bon devoir pour ceux-là qui ont la velléité de diriger les peuples.
Toujours est-il que l’école La Dignité, de la petite localité dénommée Pétavy, située entre Cayes-Jacmel et Marigot, se trouve sans eau depuis quelques temps. Tous les matins, pour en allant à l’école, chaque enfant, à partir de la 4e année fondamentale, doit apporter un gallon d’eau. L’école accueille 278 élèves venant de familles défavorisées et a besoin de l’eau pour étancher la soif des enfants, pour le lavage des mains, la préparation des repas dispensés par la cantine et la vaisselle.
Depuis environ deux ans, la sécheresse sévit dans la zone. Les pluies se raréfient, les sources se dessèchent rapidement et le déboisement s’accentue, malheureusement. Les habitants deviennent encore plus pauvres, survivent d’expédients et ne peuvent presque plus compter sur la culture des sols ce qui entraine des conséquences pénibles sur les enfants qui sont souvent placés en domesticités dans les villes ou encore abandonnés par leurs parents qui partent travailler en République Dominicaine comme ouvriers-maçons ou coupeurs de canne. Même le jardin expérimental de l’école qui apportait certains compléments aux repas du jour lors des récoltes, est en déclin, faute d’eau nécessaire à son entretien.
Cette école, depuis sa création, veille à ce que les enseignants, les élèves et les parents se sentent concernés des préoccupations communes et prennent part aux solutions. Aussi, dans son programme, le respect de l’environnement et de la nature est une constance. Dans le but d’amener les enfants, les enseignants et les parents à une prise de conscience citoyenne ou tout simplement humaniste, des activités telles que la construction de murs secs pour protéger les bassins versants, le ramassage de déchets plastiques, le jardin expérimental y occupent une grande place.
Cette école est l’une des plus dignes de la communauté haïtienne et mérite pleinement son nom. Elle a été fondée il y a 17ans par Viviane Vieux, une femme qui après avoir élevé ses six (6) enfants, vient s’établir dans cette petite communauté pour être tranquille. Voyant des enfants non scolarisés se balader, elle part dans une nouvelle aventure éducative. Elle ouvre une école qui héberge aujourd’hui les trois cycles du fondamental (1e AF à 9e AF) et offre, depuis sa création, une éducation totalement gratuite à des enfants qui en ont besoin.
Au début de son établissement, l’école La Dignité était alimentée en eau par la source «Borne Masson» qui aujourd’hui n’est plus. La coupe effrénée des arbres a des incidences graves sur les communautés et l’absence de l’Etat dans la gestion de l’espace haïtien n’augure rien en matière de solution. Pour toute la zone, il n’existe qu’une seule source actuellement qui fournit de l’eau, dont le débit assez faible à cause de la sécheresse, ne permet en aucun cas la satisfaction des besoins de plusieurs localités dont Pétavy.
L’instance nationale de distribution d’eau révèle ses limites par rapport à la proportion d’eau potable disponible pour une quantité d’habitants dans une région. Pourtant, Haïti, en raison des reliefs de ses montagnes et sa réalité pluviométrique annuelle, devrait pouvoir permettre à ses populations l’accès à l’eau. Mais… ce n’est pas le cas.
Quand l’eau est disponible, elle n’est pas potable car les constructions anarchiques participent à la pollution des sources. Cet état de fait représente une mine d’or pour les marchands d’eau qui investissent dans des camions à citerne et pompent certaines nappes phréatiques pour amener le liquide précieux à ceux qui peuvent payer. Malheureusement, l’École La Dignité ne peut pas s’accorder cette commodité vue sa position sur une colline assez difficile d’accès pour les camions-citernes sans compter sa capacité de stockage limitée.
Pendant combien de temps vais-je continuer à demander aux enfants d’amener un gallon d’eau tous les matins, une eau qui leur manque déjà chez eux? Tel est le questionnement de Viviane Vieux, fondatrice de l’école lors d’une conversation avec elle sur la situation. Elle explique également que le comité de gestion de l’école a soumis un projet à Terre des Hommes Suisse qui vise l’installation d’une citerne de grande capacité qui pourrait recevoir de l’eau lors de la saison des pluies et serait un grand palliatif au problème. Pour le moment la capacité de stockage de l’école est de mille (1000) gallons et elle dépense, de manière économique, 250 gallons par jour de classe pour tous les besoins. Ce qui signifie que l’école est toujours en situation de pénurie d’eau même quand l’alimentation y serait régulière. Selon Viviane, cette citerne permettrait également à l’école un meilleur contrôle dans le traitement de l’eau. A noter que cela ne fait pas deux mois depuis que le choléra a refait surface dans la communauté et a fait de nombreuses victimes, y compris au sein de l’établissement.
L’école La Dignité de Pétavy, par son appellation est à elle seule une interpellation à la conscience et pose le problème de la Dignité de l’être dans l’existence. La pensée qui a amené sa fondatrice à la baptiser l’école La Dignité est sans nul doute l’expression de la quête d’une femme, d’une mère, d’un pays pour sa dignité.
Par Fritzlaine Thezan, enseignante.