La parole à… Pierrette Birraux

Spécialiste du peuple Yanomami, Pierrette Birraux est membre du Conseil de fondation du Centre de Documentation de Recherche et d’Information des Peuples Autochtones (Docip).

Spécialiste du peuple Yanomami, Pierrette Birraux a été d’abord volontaire puis directrice pendant vingt ans du Centre de Documentation de Recherche et d’Information des Peuples Autochtones (Docip). Elle est aujourd’hui membre de son Conseil de fondation.

Comment vous êtes-vous intéressée aux Yanomami?

Je vivais à Montréal où je faisais une recherche universitaire sur l’aménagement du territoire chez les Indiens Innu. Nous étions à la fin des années 1970. Là, j’ai appris ce que signifiait le mot «ignorer». C’est-à-dire non pas le fait de ne pas savoir… mais de ne pas vouloir savoir! J’ai été choquée par le fait que personne ne s’intéressait aux indiens de la forêt! À mon retour en Suisse, j’ai rencontré René Fuerst (ethnologue suisse) qui m’a donné des contacts chez les Yanomami. Entre les autochtones de la forêt boréale et ceux de la forêt tropicale, il y a des points communs: une même vision animiste de la nature. J’ai effectué trois séjours sur les terres Yanomami, au total une année et demi. J’ai travaillé auprès d’une dizaine de communautés, j’ai appris leur langue. Le séjour n’a pas toujours été facile… ils avaient vécu des invasions de chercheurs d’or et les contacts violents avec les Blancs.

Je souhaitais cartographier leur occupation territoriale, pour lutter contre cette idée que les terres indigènes sont «vierges», voire «vides», et donc que l’on peut les occuper ou les exploiter sans autre. Bien sûr, en survolant ces zones par avion, elles paraissent inhabitées, mais même si la densité d’habitants est faible, ces terres sont utilisées! Ils sont semi-nomades car leur sol n’est pas suffisamment bon et que le gibier se déplace, mais ils occupent ces territoires, le connaissent bien, ont donné un nom aux montagnes, aux rivières.

Enfin très important, chez les Yanomami la notion de propriété de la terre n’existe pas. Ils empruntent les ressources du territoire, ils ne le possèdent pas

Que pouvez-vous dire en quelques mots sur ce peuple?

À l’époque, il n’avait pratiquement pas de contact avec les Blancs. Semi-nomades, les Yanomami vivaient de leur agriculture, de la chasse et de la cueillette. Ils passaient jusqu’à quatre, cinq mois par année en forêt. Toute la communauté adorait cela! Ils savent encore quand tel fruit de tel arbre est mûr à tel endroit. Pour le gibier, c’est plus aléatoire. Mais ils peuvent reconnaître les traces d’un pécari ou d’un tapir. La forêt est plein de ressources, elle est riche et généreuse.

Les Yanomami sont considérés comme un peuple féroce. Il existe encore des hostilités entre les communautés, mais aussi beaucoup d’amour et d’affection. C’est un peuple extraverti, curieux, qui manifeste ses émotions; plein d’humour aussi. Et nous sommes leur série télévisée humoristique! C’était parfois pénible pour moi… jusqu’au jour où je me suis rendue compte que je pouvais aussi me moquer d’eux! On est là dans une relation de réciprocité, d’égalité; voire de vengeance s’il y a eu affront. On est constamment dans l’échange aussi. S’ils te demandent quelque chose, tu dois le donner. Mais tu peux aussi demander!

Quelle est leur vision de l’enfant?

Cela dépend des âges… Les mères s’occupent énormément des bébés. Elles allaitent souvent les trois premières années de vie et cherchent à ne pas avoir d’autres enfants entre temps. Il y a une aussi forte mortalité. L’enfant est toujours avec la mère, il est rarement confié à quelqu’un d’autre. Plus grands, les filles sont avec leur mère et les garçons avec leur père.

Chez les Yanomami, il y a un grand respect de la personne. Il y a ce même respect pour les animaux. Un bébé pécari orphelin pourra même être allaité par une Yanomami et élevé avec les autres enfants! Jusqu’à peu, il n’y avait pas d’école, car enseigner, c’était vu comme une violation de la personne! Sauf pour les chamanes. L’enfant observe, imite et ainsi apprend

Terre des Hommes Suisse a régulièrement sollicité le Docip pour préparer les documents ou articles sur cette question… quels sont les écueils ou les stéréotypes auxquels il faut être attentif?

Le Docip veille à ne pas travailler «sur» les autochtones, ni «pour» eux, mais «avec» eux et en se mettant à leur service. Ne pas prendre parti, être impartial. Ce n’est pas évident de respecter la diversité, de ne pas être paternaliste. Nous sommes différents, mais égaux. Nous sommes là pour les soutenir dans la défense de leurs droits. Nous n’avons pas découvert les Indiens, nous les avons conquis! Il n’y a pas de progrès, il y a choc de cultures, intérêts économiques et corruption… Leur disparition n’est pas une fatalité. On veut les sauver, mais c’est notre société soit-disant civilisée qui est en train de les détruire! Et ce n’est pas uniquement le passé: aujourd’hui aussi! La colonisation n’est pas terminée, même si elle est dorénavant plutôt interne au pays. En témoigne la lutte contre les multinationales ou les grands propriétaires qui veulent couper leur forêt ou extraire les ressources minières de leurs sols.

En travaillant avec eux, on ne fait qu’essayer de réparer les dommages que nos sociétés leur ont créé! Nous sommes dans un rapport d’échanges, qu’il faut définir avec eux. Pas besoin de longs discours. Et toute action sera inefficace si on ne répond pas à leurs besoins. Les autochtones savent ce qu’il leur faut, et il faut leur laisser la responsabilité de leur destin. À nous de les écouter, d’essayer de comprendre comment ils fonctionnent. C’est une ouverture à l’altérité qui est passionnante! Ça nous ouvre des horizons inimaginables. Pour moi, c’est un énorme bonheur que de travailler avec eux. Il faut laisser parler son cœur et bien écouter. Ils ont le don de nous mettre à notre place, on sait qui on est et où on est. En travaillant avec eux, on travaille pour l’humanité toute entière et aussi les animaux, les plantes. On travaille pour la vie!

Que dire de la jeunesse autochtone?

La jeunesse autochtone est très dynamique. Les questions d’identité et de discrimination sont vitales pour eux, même pour ceux qui vivent en ville ou ont une situation. En mai 2014, nous avons sorti un documentaire Bridge to the futur1 réalisé par sept jeunes autochtones de sept régions du monde. En quelques jours, avec le soutien d’un formateur suisse, Rémi Willemin, ils ont appris à manier une camera et à effectuer un montage. Ils ont interrogé des anciens. Chez ces peuples, il y a la volonté de ne pas mettre les plus âgés de côté, ils sont considérés comme des gens qui ont de l’expérience, de la sagesse.

Un message pour la jeune génération, public cible de Terre des Hommes Suisse?

D’abord, que peu de personnes peuvent faire beaucoup! Il faut des gens déterminés, des gens qui n’écoutent surtout pas quand on leur dit que c’est impossible! Par exemple la Secoya, organisation partenaire de Terre des Hommes Suisse en Amazonie brésilienne, a été fondée par un infirmier allemand qui voulait soigner les ravages de la tuberculose. Il pensait rester trois ans… il y est resté plus de dix! Lui a succédé Silvio Cavuscens. Et l’organisation existe toujours et a acquis une grande reconnaissance sur le plan local comme international. C’est aussi grâce à une poignée de personnes qu’aujourd’hui les autochtones peuvent faire entendre leur voix aux Nations Unies!

Ensuite, que l’on n’a pas besoin d’être un héros. Les héros sont parfois même dangereux car ils font souvent passer leur désir avant celui de ceux avec qui ils travaillent. Enfin, que chacun d’entre nous a une utilité et que l’on peut toujours agir de là où l’on est.

Propos recueillis par Souad von Allmen. Version complète de l’interview publiée dans le journal Terre des Hommes Suisse n°115, septembre 2014

Voir aussi www.docip.org

1https://www.youtube.com/watch?v=KqtyUrPqQDs