La seconde chance: éducation et formation professionnelle au Sénégal

L’analphabétisme touche encore plus de 50% des adultes dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest! Un programme de formation en atelier permet à des dizaines d’adolescents de reprendre leur avenir en main.

Parmi les maux endémiques qui touchent tout particulièrement l’Afrique de l’Ouest, il en est un dont on parle relativement peu: l’analphabétisme1. On pourrait le croire en voie de disparition, car il n’a plus le même impact médiatique que la pauvreté, la malnutrition, le sida, la corruption ou les conflits armés. Mais il contribue largement à entretenir et à renforcer tous ces fléaux.

L’analphabétisme touche encore plus de 50% des adultes (15 ans et plus) dans huit pays d’Afrique de l’Ouest2: statistiquement, c’est la région la moins alphabétisée du monde. Les deux tiers des personnes concernées sont des jeunes filles et des femmes. Selon l’Unesco, les causes de ce fléau sont liées au sous-développement, au fort taux de croissance démographique qui, associé aux moyens financiers limités des Etats, empêche de scolariser l’ensemble de la population, et enfin aux préjugés de genre, la scolarisation des garçons étant priorisée par rapport à celle des filles.

Or, de nombreuses études relèvent une corrélation étroite entre l’analphabétisme et la pauvreté, les problèmes de santé, le chômage ou les Sénégal emplois précaires et, de manière générale, le dynamisme d’une société. En particulier, les taux de mortalité infantile décroissent quand s’élève le niveau d’éducation des mères. Un véritable développement de l’Afrique de l’Ouest passera donc obligatoirement par une alphabétisation massive de la population, et plus particulièrement des jeunes.

Besoins spécifiques à l’adolescence

L’alphabétisation, qui donne accès à l’éducation et à toutes les facett es de la formation, est un droit fondamental qui devrait constituer une priorité pour tous les gouvernements. Bon nombre d’Etats l’ont bien compris, mais des raisons structurelles et culturelles viennent encore trop souvent contrecarrer des politiques pourtant volontaristes, et limiter la portée des efforts fournis.

Dans ce domaine, une population est particulièrement vulnérable: les adolescents. À l’âge critique de l’entrée dans la vie active, s’ils n’ont pas un minimum de formation et de compétences professionnelles, ils devront se contenter de petits boulots précaires et mal payés qui les maintiendront dans le cercle vicieux de la pauvreté. Pour toutes celles et ceux qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école (analphabètes) ou qui n’y sont pas allés suffisamment longtemps pour acquérir les compétences de base (déscolarisés), il importe donc de mettre en place une «école de la seconde chance», qui leur permettra de rattraper leur retard, de prendre confiance en eux et d’entreprendre une formation professionnelle qui leur offrira de véritables perspectives.

Les programmes d’alphabétisation pour les jeunes doivent répondre à leurs besoins spécifiques et tirer parti de leur enthousiasme, en valorisant le fait qu’ils prennent ainsi leur vie en main pour répondre aux besoins de leur famille et de leur communauté. Des jeunes bien formés deviendront plus naturellement des citoyens engagés, prêts à relever les défis du progrès et des nouvelles technologies, donc à contribuer à l’évolution et au développement de la société dans laquelle ils vivent.

Au Sénégal, Terre des Hommes Suisse est engagée depuis 2011 auprès d’un partenaire (Alphadev) qui a cherché une solution concrète et pragmatique au problème de l’analphabétisme chez les jeunes. Cette ONG est basée à Malika, commune de la grande banlieue dakaroise en pleine expansion démographique où, faute d’infrastructures suffisantes, plus de 60% des jeunes n’ont pas terminé le cycle primaire, voire ne sont jamais allés à l’école. Nombre d’adolescents se retrouvent donc désoeuvrés, avec des perspectives limitées, à la recherche de petits boulots précaires et mal rétribués, parfois attirés par la délinquance ou prêts à embarquer pour le «paradis» européen, au risque de leur vie.

Formation professionnelle qualifiante

Le Cap (Centre d’Apprentissage Populaire) ouvert par Alphadev propose à 60 jeunes analphabètes ou déscolarisés, âgés de 15 à 20 ans, dont deux tiers de filles, une formation pour leur permettre de rattraper les notions de base (lecture, écriture, calcul, informatique, gestion) et de mener à terme une formation professionnelle qualifiante d’une durée de trois ans.

Plus de 100 jeunes s’étant intéressés à cett e formation, il a fallu procéder à une sélection sur la base d’un examen d’entrée. Chaque jeune et ses parents ont signé l’engagement d’aller jusqu’au bout de la formation: une visite sur place en avril 2012 nous a convaincus de la forte motivation de ces jeunes, qui voient là une véritable opportunité de construire leur avenir. «Maintenant, je n’ai du temps que pour mon travail. Je pense que dans les années à venir, nous saurons et pourrons faire énormément de choses, et allons enfi n avoir un métier pour construire notre vie. Ce que nous regrett ons, c’est de ne pas avoir eu ce programme avant», souligne Pape Modou Amar.

La formation professionnelle est dispensée par des chefs d’ateliers3 présents sur la commune, triés sur le volet et décidés à tout mettre en oeuvre pour assurer la réussite de chaque jeune qui leur est confié. Au Cap, cinq filières ont été retenues: mécanique auto, couture, coiff ure, agro-alimentaire et menuiserie (bois et métal). Plusieurs superviseurs, spécialistes de leur domaine, viennent assurer la cohérence et la qualité de la formation technique dispensée, qui doit répondre aux critères de la Direction de l’apprentissage et de la Direction de l’alphabétisation.

Au terme des trois ans, les jeunes passeront un examen qui, s’il est réussi, leur permettra de décrocher un diplôme reconnu. En cas d’échec, ils bénéficieront d’un complément de formation qui leur offrira l’occasion de se présenter à nouveau à l’examen. Chaque jeune sera ensuite accompagné pour suivre et soutenir sa bonne insertion dans le monde du travail.

De fréquents bilans, ainsi qu’une supervision par des instances pédagogiques et publiques concernées, devraient assurer le succès de cette phase expérimentale du projet et conduire à l’accueil de nouvelles volées de jeunes dans les années à venir. D’autres centres du même type pourraient bénéficier de l’expérience ainsi acquise. Les jeunes sont l’espoir et le futur de la société. À la fois attachés aux valeurs culturelles de leur communauté et correctement formés, notamment aux nouvelles technologies, ils pourront contribuer à créer une société plus juste, plus démocratique et plus dynamique, où chacun pourra mettre en valeur ses talents. Et l’alphabétisation est la première étape de ce long chemin.

1 Parmi les nombreuses défi nitions de l’analphabétisme, on retiendra celle-ci, qui a l’avantage d’être simple, mais qui est forcément réductrice: «L’analphabétisme est l’incapacité pour un individu de lire et d’écrire, en le comprenant, un exposé simple et bref de faits se rapportant à sa vie quotidienne.»

2 Bénin, Burkina Faso, Gambie, Guinée, Mali, Niger, Sénégal, Sierra Leone.

3 Les ateliers sont de petites structures professionnelles regroupant un patron, un ou deux ouvriers et quelques apprentis. Ces sortes de PME sont très répandues au Sénégal et contribuent de manière significative à la dynamique économique du pays.

Par Michel Vacheron, tiré du journal terre des hommes suisse n°108 – décembre 2012