Le Brésil, une image de carte postale mise à mal

Aperçu du contexte et des enjeux des programmes menés par Terre des Hommes Suisse au Brésil en faveur des droits de l’enfant, en particulier le droit à l’éducation et le droit à l’alimentation.

Bien avant que les projecteurs des stades de foot ne pointent leur lumière sur le Brésil, les partenaires de Terre des Hommes Suisse avaient conscience que «pão e circo» (du pain et des jeux) sont les deux moyens qui permettent d’anesthésier les populations. Mais ne nous y trompons pas.

Malgré leur amour pour le football et les télénovelas, feuilletons télévisés auxquels assistent chaque jour des millions de Brésiliens, le mécontentement couve. Preuve en est le geste de protestation d’un jeune indien Guarani de treize ans, lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de football, arborant une bannière rouge revendiquant la «démarcation» des terres indigènes. Un geste occulté par les médias, symbole de ce malaise que l’on veut faire taire ou que l’on travestit à coups de publicité 1.

À l’instar de ces récents événements, ce qui frappe immédiatement lors de nos visites aux programmes soutenus par Terre des Hommes Suisse au Brésil, c’est la conscience sociale des couches populaires et la force de mobilisation des mouvements sociaux. Les manifestations démarrées en juin 2013 ont repris et se sont intensifiées, tout comme la répression policière. L’hétérogénéité des manifestants (professeurs, indiens, travailleurs sans toit, employés des transports publics) et des revendications traduit un niveau élevé d’insatisfaction d’une frange importante de la population. La montée d’une classe moyenne mécontente de la précarité des services publics y est également pour beaucoup.

Le bon déroulement de la Coupe du monde aura certainement une incidence sur l’issue des élections présidentielles d’octobre prochain, d’où l’importance pour le gouvernement de Dilma Rousseff de prévenir tout débordement. Les retombées économiques de ce type d’événement étant limitées, c’est essentiellement en termes d’image internationale (tourisme) que le gouvernement espère tirer des bénéfices. Les mouvements sociaux l’ont bien compris et n’ont pas hésité à rappeler aux pouvoirs publics les inégalités criantes du pays et à remettre en question l’image de carte postale qu’ils cherchent à projeter hors de leurs frontières.

Au-delà des favelas
Les programmes publics de redistribution des richesses initiés avec le gouvernement Lula (bolsa familia par exemple) et la croissance soutenue des dix dernières années ne remettent nullement en question les problèmes structurels de la sixième économie du monde.

Les favelas demeurent le symbole médiatique et le réceptacle des inégalités de richesse que connaît le pays. Mais il ne s’agit pas de focaliser uniquement sur les problèmes urbains du Brésil. La pauvreté de ces quartiers trouve en grande partie son origine à l’intérieur même du pays, où depuis des dizaines d’années la concentration des terres, le manque d’infrastructures de base et les discriminations raciales obligent des milliers de travailleurs ruraux et leur famille, en quête d’opportunités, à venir gonfler la périphérie des grandes villes du littoral sud.

Dans ce pays où la principale classe d’âge est celle des 15-19 ans, ce qui manque le plus aujourd’hui est un système de santé de base, une éducation publique gratuite de qualité et adaptée aux réalités de vie, ainsi qu’un accès équitable à la terre et à l’eau. C’est particulièrement le cas dans le Nord (Etats de Roraima et Amazonas) et le Nordeste du pays, deux régions qui présentent des indices socio-économiques comparables aux pays les plus pauvres du continent.

Terre des Hommes Suisse a ainsi choisi de maintenir son action dans ce pays émergent et de concentrer ses efforts  en Amazonie brésilienne et dans le Nordeste bahianais. Elle y collabore avec des organisations brésiliennes qui œuvrent en faveur des enfants, des jeunes exclus ou victimes du boom économique, en particulier des populations indigènes, des communautés afro-brésiliennes traditionnelles et des petits paysans vivant de l’agriculture familiale.

Dans un pays considéré comme une puissance émergente, la démocratie reste encore fragile. Malgré des législations nationales progressistes et un processus de décentralisation de l’Etat fédéral, le manque de compétences techniques aux échelons locaux, les phénomènes de clientélisme, de corruption et de détournements de fonds par les pouvoirs publics demeurent un frein important à l’application effective des droits de l’enfant. Sans la pression exercée par la société civile brésilienne, la mise en œuvre de ces lois n’aboutirait que rarement. D’où l’action nécessaire de nos organisations partenaires capables d’exercer un contrôle et une influence sur l’usage des deniers publics.

Ces dernières années, les mouvements sociaux brésiliens ont dû faire face à de grands défis: nombre de leurs leaders ont été cooptés par les pouvoirs publics, de nombreuses ONG ont vu les agences de coopération étrangère qui les finançaient quitter le pays. Le financement des activités a été en partie remplacé par des programmes et des politiques publiques, qui n’assurent toutefois aucunement la pérennité de leur fonctionnement.

Pour permettre cette viabilité, Terre des Hommes Suisse a choisi de poursuivre ses partenariats et soutient le développement d’alternatives qui visent la durabilité de l’agriculture familiale et la formation complémentaire et contextualisée des jeunes en milieu rural.

Concrètement sur le terrain
Le Brésil est l’un des principaux fournisseurs agricoles de la planète 2. Le pays est autosuffisant dans toutes les denrées agricoles – à l’exception du blé – une autosuffisance à laquelle l’agriculture familiale contribue à hauteur de 70%. Ces dernières années, pour faire face à la dette extérieure, le développement d’un secteur agro-alimentaire de type industriel consacré aux monocultures d’exportation a été privilégié au détriment de l’agriculture familiale vivrière, renforçant ainsi la concentration déjà élevée de la propriété de la terre et conduisant à des diminutions drastiques d’emplois, en particulier chez les jeunes. Le potentiel nourricier de l’agriculture familiale a ainsi largement été sous-exploité alors qu’un tiers de la population, dont une grande majorité de ruraux, souffre de faim. Pour lutter contre ces injustices, Terre des Hommes Suisse concentre ses efforts sur la formation des jeunes et de leur famille aux techniques de production, transformation et conservation agricoles durables qui permettent d’assurer la sécurité alimentaire et l’autonomie économique des communautés.

L’autre faiblesse du développement brésilien est la piètre qualité du système éducatif qui fonctionne à deux vitesses (les écoles privées, coûteuses et généralement de bonne qualité et les écoles publiques, gratuites mais qui concentrent tous les maux de l’éducation brésilienne, principalement en milieu rural) et accuse des taux d’abandon scolaire et d’élèves sur-âgés 3 parmi les plus importants du continent. Les raisons en sont diverses: éloignement et isolement des villages, nombre insuffisant d’heures quotidiennement passées à l’école en raison de la défaillance ou du manque d’infrastructures et d’équipements, manque de personnel enseignant qualifié prêt à «s’expatrier» en milieu rural, matériel scolaire peu adapté ne valorisant pas les cultures et les langues indigènes ou locales, sans parler du manque d’investissement des pouvoirs publics pour garantir la mise en œuvre de la différenciation culturelle sur le plan éducatif.

Le matériel et les programmes scolaires brésiliens sont principalement basés sur la réalité du sud du Brésil, proche de la culture et des standards de vie européens, Terre des Hommes Suisse et ses partenaires travaillent dès lors à l’élaboration de matériel pédagogique adapté aux réalités de vie des communautés qu’ils soutiennent et forment des professeurs à la pratique de méthodes éducatives innovantes dans des écoles rurales et/ou indigènes. Pour que les jeunes puissent se projeter un avenir in situ sans songer nécessairement à s’exiler en direction des grandes villes, il est essentiel de valoriser la culture et la langue locale, de déconstruire les préjugés qui sont liés à leur milieu de vie et d’offrir des formations de qualité professionnelle pour répondre aux besoins locaux des communautés. Un beau programme d’actions!

1. www.survivalfrance.org/actu/10295
2. Le Brésil est le premier fournisseur mondial de sucre, café, jus d’orange, tabac, bœuf, poulet et canne à sucre.
3. Des enfants dont l’âge ne correspond pas à l’âge moyen du niveau scolaire auquel ils sont inscrits.

Article rédigé par Sophie Recordon, extrait du journal Terre des Hommes Suisse n°115, août 2014