Après environ deux heures de voyage depuis Salvador, nous arrivons à Feira de Santana; sans le savoir, à la veille du Micareta (carnaval local). Il est 10h du soir et sur l’une des avenues, juste avant l’arrivée à la gare routière, les stands et les gradins sont déjà montés et les ingénieurs du son font des tests audibles à des kilomètres à la ronde. J’apprends qu’il s’agit d’un très grand événement. Des centaines de milliers de «fêtards» sont attendus dès demain, mercredi, jusqu’à dimanche, ce qui désole le chauffeur de taxi qui nous mène de la gare routière à l’hôtel. Il se plaint des nuisances prévisibles de ce carnaval tardif.
Ana-Paula et Matheus, du MOC*, nous accompagnent ce mercredi 22 avril. Ils sont respectivement les coordinateurs des volets éducation et assistance technique du projet que nous soutenons.
Durant les quelque 200 kilomètres parcourus en voiture durant la journée, nous commentons la situation politique au Brésil, l’amélioration significative des conditions de vie des familles paysannes grâce surtout aux programmes sociaux du gouvernement fédéral mis en place par les gestions Lula et Dilma Roussef, mais aussi des énormes difficultés dues, entre autres, par une corruption généralisée et par le fait que les «prefeitos» (maires des municipalités) concentrent un énorme pouvoir dans leurs mains au plan local. Rien ne se fait sans leur accord et tout se monnaie.
«Dès l’entrée en fonction du maire actuel, plusieurs professeurs des écoles primaires rurales avec lesquelles nous travaillons ont été mutés, contre leur gré, en représailles de leur appui à un autre candidat durant la dernière campagne», nous explique Matheus.
Beaucoup de ces professeurs sont de vrais héros. Non seulement ils manquent de moyens et de formation continue, mais ils enseignent dans des classes multi-degrés et surchargées qui contiennent souvent des enfants avec des besoins spéciaux. En plus d’être mal payés, ils sont confrontés à la violence et à l’indiscipline de certains élèves, ainsi qu’à l’arbitraire des maires et de leur hiérarchie. Envers et contre tout, ils poursuivent leur engagement.
Nous avons rencontré beaucoup de héros pendant cette visite sur le terrain: Janira, ancienne directrice d’école à Ilhéus, qui se bat depuis des décennies pour une meilleure éducation rurale; Renata, qui a laissé son confort de classe privilégiée dans le Sud pour participer à l’éducation des enfants dans une zone rurale à Itacaré; Lilian et Marcio, à Lençois, qui dédient leur vie à la préservation des savoirs et traditions locales et à la promotion de la pédagogie griô; India, à Irecê, qui donne toute son énergie pour la sauvegarde de la «caatinga» et pour retenir les populations qui y vivent, sans parler de ces nombreux profs des zones rurales, de Feira de Santana et d’ailleurs, anonymes, qui font un travail remarquable dans des conditions difficiles.
Par mon travail à Terre des Hommes Suisse, mais simplement aussi en regardant le journal télévisé tous les jours, je suis informé des difficultés vécues par des enfants et des populations défavorisées dans divers pays du monde. Souvent ces nouvelles sont décourageantes. C’est grâce à ces milliers de héros anonymes, au Brésil et ailleurs, que j’ai encore confiance et espoir en l’avenir.
Demain, Sophie et moi quittons Bahia laissant Luciana continuer son engagement ici. Nous partons avec beaucoup d’informations et de souvenirs, fatigués mais avec plein d’énergie pour continuer notre action, un maillon dans cette chaîne de solidarité mondiale à laquelle Terre des Hommes Suisse participe.
Merci de m’avoir accordé votre attention pendant ces quelques deux semaines.
Beto Duraes
* MOC – Movimento de organização comunitária