Souvent très jeunes, de nombreuses Maliennes quittent leur village pour aller travailler en ville comme aides familiales. Comment prévenir les abus et défendre leurs droits?
Souvent très jeunes, de nombreuses Maliennes quittent leur village pour aller travailler en ville comme aides familiales. Comment prévenir les abus et défendre leurs droits? Petit compte-rendu de la dernière visite sur le terrain.
Lorsque nous arrivons au siège de l’Association pour la promotion des droits et du bien-être de la famille (Apsef), organisation que Terre des Hommes Suisse soutient depuis 2012, presque toute l’équipe est déjà sur place, et après un rapide tour de table de présentation, les échanges se font intenses: on parle de l’avancée du projet, des résultats obtenus, mais aussi des diffcultés rencontrées et des défis quotidiens. Travailler sur la thématique du travail des enfants et faire évoluer la conception du rôle des filles et des femmes dans la société malienne n’est pas aisé. On discute aussi de la pratique de l’excision, encore très présente, notamment en milieu rural, de la question de la dot et de la façon dont les mariages sont organisés1. «Lorsque la famille du futur mari rencontre pour la première fois celle de la potentielle promise, la fille est soumise à une attention spéciale: tous ses gestes sont analysés – comment elle se tient, comment elle sert le thé – pour établir si elle sera une bonne épouse», raconte Sabine, membre de l’Apsef, en évoquant ses propres fiançailles.
Ces anecdotes personnelles enrichissent la discussion. Elles nous permettent de mieux saisir les subtils enjeux culturels liés à ce projet, et témoignent surtout du fort engagement de chacune de ces femmes en faveur des droits des filles qui travaillent comme aides familiales.
Rencontre avec les aides familiales
Dans une salle de classe un peu sombre sont réunies une vingtaine de jeunes filles. Elles travaillent toutes au sein d’une famille du quartier, mais chacune a sa propre histoire à partager. Certaines d’entre elles viennent à Bamako uniquement durant la période des vacances d’été. Leur objectif est de gagner quelques francs CFA pour aider leur famille à affronter les dépenses liées à la rentrée scolaire. Mais la majorité d’entre elles travaille presque toute l’année en ville et ne rentre au village qu’au moment de la récolte pour aider aux travaux des champs. Après un sketch réalisé par un petit groupe de filles sur la vie quotidienne d’une aide familiale, les thèmes de discussions se multiplient. On parle des risques de venir travailler à Bamako, mais aussi des opportunités de vivre et de travailler en ville, où certaines espèrent trouver un mari. On mentionne les violences et les abus dont plusieurs sont victimes dans le cadre de leur travail, mais aussi les améliorations que d’autres ont connues depuis qu’elles savent mieux défendre leurs droits. «Mon employeur m’envoie parfois vendre du jus de gingembre dans la rue, et s’il manque un seul franc, on me frappe!» témoigne une jeune2 de 14 ans. Une autre fille raconte qu’au début de son travail comme aide familiale, elle dormait à même le sol… « Mais au village, la vie n’est pas facile non plus, et ici au moins, je peux gagner quelques francs pour moi et ma famille», lui fait écho une troisième fille qui vient d’envoyer à ses parents de quoi contribuer à l’achat d’une charrette. Et puis on parle aussi de la nostalgie, car finalement, il s’agit avant tout de jeunes filles qui grandissent loin de leur famille.
À la mairie de Ouelessebougou
Dans son action, l’Apsef accorde une grande importance à l’implication des autorités locales. Pour cette raison, lorsque nous allons à Ouelessebougou, nous ne manquons pas de nous rendre à la mairie. D’une simple visite de courtoisie, notre passage va se transformer en une intéressante occasion d’échanger avec les conseillers communaux. Nous découvrons ainsi que l’un de ces conseillers participe régulièrement aux activités de l’Apsef. Cette collaboration s’est, entre autres, traduite par l’organisation conjointe des assises communales lors desquelles les autorités et la population ont discuté de la problématique de l’exode rurale des jeunes filles ainsi que de la question de la dot.
Sous l’arbre à palabres
L’accueil qui nous est réservé au village de M’Piebougou est des plus chaleureux: nombreuses sont les femmes déjà présentes qui dansent et chantent tandis que d’autres accourent, attirées par la musique. Le chef du village demande au ciel nuageux de nous laisser le temps nécessaire pour notre rencontre, mais cette fois-ci sa demande ne sera pas écoutée… Nous trouvons abri dans la salle de classe et, malgré le bruit de la pluie sur le toit de tôle de l’école, nous poursuivons les échanges avec les femmes. L’une d’entre elles témoigne d’un petit mais significatif changement dans l’utilisation de l’argent de la dot, qui n’est plus systématiquement accaparée par les pères: «Maintenant, nous, les mères, nous pouvons aussi en revendiquer une partie pour constituer le trousseau de mariage de nos filles.» On nous parle également du «jeu des mères protectrices», au travers duquel chaque adolescente «à risque d’exode» se voit assignée une seconde mère qui, comme une marraine, conseille et accompagne la jeune fille. Malheureusement, la pluie qui tombe abondamment risque de rendre la route impraticable et nous oblige à abréger notre discussion, mais le souvenir de ces rencontres va nous accompagner longtemps.
1 Au Mali, la famille de la fille apporte le trousseau du futur ménage, tandis que celle du garçon doit fournir une dot aux parents de la future mariée, généralement de l’argent ou des animaux.
2 Les noms de ces jeunes filles ne sont pas mentionnés, conformément à notre politique de protection de l’enfance.
Le projet dans son contexte
Au Mali, de nombreuses adolescentes qui vivent en milieu rural abandonnent leur village, trop souvent avant la fin de leur scolarité, pour partir travailler en ville en tant qu’aide familiale. En plus de représenter une aide pour leur famille, l’argent gagné est censé leur permettre d’établir le «trousseau de mariage», c’est-à-dire l’ensemble des outils et de l’équipement nécessaires à la constitution d’un ménage (casseroles, linge, parfois quelques meubles). Loin de la protection de leur famille, ces filles sont parfois confrontées à des abus, allant du non-paiement de leur salaire jusqu’à des violences physiques et sexuelles. Dans ce contexte, l’Apsef réalise à la fois un travail de prévention et de protection. Le travail de prévention est effectué essentiellement dans les villages sujets au phénomène de l’exode à travers des activités de sensibilisation, pour décourager l’exode des filles trop jeunes et outiller celles qui partent afin qu’elles puissent affronter cette expérience d’un œil moins naïf. En ville, l’Apsef soutient les aides familiales avec de nombreuses formations tant sur leurs droits comme travailleuses domestiques que sur des aspects très pratiques de leur travail (art culinaire, hygiène, etc.).
Article rédigé par Alessandra Genini, tiré du journal TdH n°121, mars 2016