Resistiremos hasta que se apague el sol

«Nous résisterons jusqu’à ce que le soleil s’éteigne». Cette devise du nouveau partenaire de Terre des Hommes Suisse en Colombie reflète son engagement sans compromis pour les droits des enfants.

«Nous résisterons jusqu’à ce que le soleil s’éteigne.» Cette devise de Cecucol, nouveau partenaire de Terre des Hommes Suisse en Colombie, reflète son engagement sans compromis pour les droits des enfants.

L’ambiance enjouée du centre de Cali s’estompe au fur et à mesure que l’on s’approche du quartier de Los Chorros, sur le flanc d’une grande colline ceinturant le sud-ouest de la ville. Immeubles modernes et touristiques disparaissent pour laisser place à des habitations précaires et des trottoirs défoncés. Ici s’entassent des familles déplacées et défavorisées. Bernarda, l’une des fondatrices de Cecucol, vient à notre rencontre et nous guide jusqu’au Centre de l’association.

Murs défraîchis à l’extérieur, mais dès la porte d’entrée franchie, tout change: on a l’impression d’être sous un chapiteau où couleurs vives et éclats de rire se mêlent allègrement. Entièrement construit par les fondateurs de Cecucol avec l’aide des habitants du quartier, le Centre offre des salles de classe disposées en cercle autour d’une cour centrale; un escalier permet d’accéder aux deux étages supérieurs et à un amphithéâtre à ciel ouvert où ont lieu des séances de cinéma.

Aujourd’hui, les enfants s’affairent et s’entraident pour se maquiller et se déguiser. Une manifestation se prépare. L’idée est de prendre possession des endroits emblématiques du quartier prévus pour la récréation mais devenus trop dangereux, et d’y réaliser des activités artistiques. Le cortège, équipé d’une sono et de pancartes et composé d’enfants de tous âges, d’adolescents, de mères de famille et d’éducateurs, entreprend gaiement son parcours. Aux abords de l’école, une première affiche, réalisée par les jeunes, est collée sur le mur. Elle revendique l’accès à des espaces où les enfants peuvent jouer en sécurité, loin des trafics de drogue.

Le joyeux cortège continue vers Los Comedores, le terrain de sport aujourd’hui envahi par les fumeurs de marijuana. La place est prise d’assaut et les enfants exécutent un petit spectacle de danse. L’espace d’un instant, le lieu redevient terrain de jeu. «Ici, nous n’avons pas de parc où les enfants peuvent aller jouer, raconte Bernarda. La violence est quotidienne. Les gens sont désemparés, sans repères.» Une petite tête brune avec des tresses, six ans tout au plus, apparaît soudain devant nous. Elle me tend une feuille. «La Convention des droits de l’enfant dit que nous avons le droit d’être protégés contre la maltraitance et l’exploitation…» Elle me sourit et file donner une autre feuille à un passant. Le spectacle sur fond musical continue, des enfants sur échasses effectuent des acrobaties.

Créer des opportunités
Sans le cocon protecteur du cortège, nous n’aurions pu, étant étrangers au quartier, effectuer cette visite. Un jeune nous explique que le simple fait de s’attarder dans la rue est source de danger.

Henri, l’un des éducateurs du Centre, nous précise «qu’une des raisons pour lesquelles les jeunes se lient à ces réseaux mafieux est le manque d’alternatives». Les gens du quartier subsistent grâce à l’économie informelle, la vente de services (minutes de téléphone, arepas 1 , trajets en moto-taxi). Ceux qui s’en sortent le mieux vendent des hamburgers.
Les pères, lorsqu’ils sont présents, travaillent dans la construction ou les mines d’or; les mères, comme employées domestiques ou dans des petits commerces. Les enfants sont souvent seuls. La prostitution enfantine affecte aussi les jeunes filles, un «service» offert aux bandes criminelles contre lequel il est difficile de se rebeller.

Des opportunités, voilà ce qu’essaie d’apporter Cecucol à ces enfants et adolescents. Le Centre, c’est leur deuxième maison, il leur évite de traîner dans la rue.

Cette organisation populaire créée il y a 28 ans s’occupe de plus de 300 enfants en leur offrant une éducation et un appui académique reconnus. Les enfants sont déscolarisés à cause des montants trop importants de l’écolage, des classes saturées et des programmes peu flexibles et inadaptés. «Les gamins dont aucune école ne veut ont ici la 5 Protection des enfants possibilité de terminer leur scolarité obligatoire. Comme mon petit-fils!» raconte l’une des femmes de la communauté. Une offre importante d’activités culturelles et artistiques (danse, musique, dessin) complète ces cours. Les enseignants sont des jeunes adultes du quartier ayant participé eux-mêmes aux ateliers durant leur enfance.

Résister grâce à l’agriculture urbaine
L’un des enjeux majeurs auquel doivent faire face les familles de Los Chorros est l’accès à l’alimentation. La zone rurale de Cali se limite à 2% de son territoire, la ville étant entièrement entourée de grandes exploitations de cannes à sucre, propriétés d’élites patronales qui ont accaparé les terres prévues pour l’approvisionnement local. C’est pourquoi Cecucol a développé une pratique d’agriculture urbaine qui offre à ces familles une réelle alternative de subsistance. «C’est une forme de résistance et de lutte pour l’autonomie et contre la précarité, et chacun peut participer, nous explique Aníbal qui travaille depuis 25 ans à Cecucol. Au début, ces anciens paysans qui ont dû quitter leurs terres sous la pression de la guerre civile et/ ou du narcotrafic, étaient sceptiques. Ils ne croyaient pas que l’on pouvait faire pousser des légumes en ville.»

Aujourd’hui, les fruits et les légumes biologiques cultivés dans les cours des maisons permettent aux familles de réduire leur budget lié à l’alimentation, mais aussi d’améliorer et de varier leur régime alimentaire. «De plus, nous utilisons uniquement des graines autochtones et non transgéniques!» La forte importation d’OGM – et les pesticides associés – a en eff et rendu dépendants de nombreux paysans, et réduit la diversité des fruits, légumes et céréales présents en Colombie.

Cecucol promeut également la tenue de marchés paysans dans le quartier et les achats conjoints, par la communauté, de produits non périssables, ce qui permet de les obtenir à un meilleur prix. Dans cett e idée d’accès à une nutrition saine à moindre coût, le projet de ollas comunitarias (casseroles communautaires) regroupe des mères de famille pour préparer un repas ensemble et le partager, créant ainsi des liens dans la communauté. Patricia, l’une des femmes du projet, nous raconte à quel point le fait de participer aux activités a été enrichissant pour elle: «J’ai pu suivre plusieurs formations et j’ai énormément appris sur la manière de bien s’alimenter. Nous parlons aussi politique. Les gens ne savent pas ce qu’il se passe. Nous ne connaissons pas nos droits. Mais ici, j’ai pu reprendre confi ance en moi.»

« C’est facile de mourir de faim, on arrête de manger et c’est tout. Ce qui est difficile, c’est de continuer à vivre en
ayant toujours faim. » Une femme des ollas comunitarias

1 galettes de maïs

Article rédigé par Patricia Armada, tiré du journal Terre des Hommes Suisse n°114, juin 2014

Plus d’information sur le carnet de route en Colombie, 2013