Dans les hauteurs de la Puna péruvienne, à plus de 4 260 mètres d’altitude, se trouve Antayaje, un village qui a vu grandir Valicha, une adolescente dont l’histoire est un témoignage vivant du pouvoir de la découverte de soi et de la transformation personnelle. Capitale du district d’Omacha dans la province de Paruro, Antayaje est une communauté rurale où la vie est rude, marquée par l’agriculture et l’élevage, dans l’une des régions les plus pauvres du Pérou. La langue quechua, ancestrale, résonne dans les vallées et les montagnes, tissant l’identité de ses habitants.
Dans cet environnement, Valicha a dû faire face à de nombreux défis, notamment des problèmes familiaux et des épisodes dépressifs. Son déménagement à Cusco, la capitale régionale, n’a fait qu’ajouter à ses difficultés.
Les défis de l'adaptation : L'expérience de Valicha à Cusco
Elle se souvient douloureusement de cette période :
Ce harcèlement ne se limitait pas à son physique, mais s’étendait également à son identité culturelle. Valicha confie : « J’aimerais aussi parler couramment le quechua, m’habiller avec les vêtements traditionnels. J’ai peur qu’on me dise : ‘Pourquoi tu portes une pollera, ça ne te va pas’. J’ai peur d’être attaquée. Je m’en remets maintenant, j’apprends à me débrouiller toute seule ».
Une nouvelle perspective : L'initiative « El Apu como Escuela »
La vie de Valicha a pris un tournant décisif lorsqu’elle a rejoint l’initiative « El Apu como Escuela », un projet développé par Yanapanakusun en collaboration avec Terre des Hommes Suisse. Ce projet utilise la photographie comme outil de cohésion sociale, une approche qui a permis à Valicha et à 14 autres jeunes des Andes de redécouvrir leur identité culturelle et personnelle.
L’impact de la photographie et de l’école « Apu » sur Valicha a été profond et multidimensionnel. D’une part, elle a développé une nouvelle conscience environnementale : « J’ai appris que nous devons prendre soin de l’environnement. Nous ne nous rendons pas compte des dégâts que nous causons en jetant un simple morceau de papier par terre. Je le faisais avant, mais après l’atelier, j’ai dit non ! Nous devons prendre soin de l’environnement, préserver la nature… »
D’autre part, la photographie est devenue un outil thérapeutique puissant pour Valicha. La dépression, qui était une constante dans sa vie, a commencé à se dissiper. Elle explique :
La transformation de Valicha n’est pas passée inaperçue. Elle raconte : « Récemment, les professeurs sont venus chez moi. Ils ont dit devant moi : ‘Elle s’est améliorée, maintenant on peut même la voir sortir dans la rue’. Participer à « Apu Escuela » m’a énormément aidée. Prendre des photos, sortir dans la rue, tout cela m’a aidée à m’améliorer ».
Un nouvel outil de vie : La photographie au quotidien
La photographie est devenue un pilier fondamental de sa vie, l’aidant à gérer ses émotions et à surmonter les difficultés : « La photographie m’accompagne toujours. Par exemple, avant, si on me disait quelque chose, je pleurais, j’étais très sensible ; mais maintenant, je respire, je prends mon téléphone portable (pour prendre des photos et écouter de la musique) et je pars à la campagne. Quand je vois quelque chose qui me plaît, je le prends en photo. Je vois à quel point ce que j’ai capturé est beau et j’oublie ce qui s’est passé. Cela a beaucoup changé ma façon de gérer les problèmes ».
Le chemin de la guérison et de la découverte de soi a également conduit Valicha à réévaluer son lien avec son héritage culturel et son identité quechua. « En fait, avant l’atelier, je ne voulais pas parler quechua. Mais maintenant, grâce à l’atelier de photographie, je suis plus disposée à le parler, à m’habiller avec mes vêtements traditionnels, à sortir dans la campagne, à prendre des photos, à explorer. »
Un nouveau regard sur les racines
Cette reconnexion avec ses racines a profondément impacté sa perception de son environnement : « Avant, je ne me rendais pas compte de la beauté de notre terre, mais maintenant, chaque fois que je sors pour prendre des photos, je me sens plus connectée à mes racines et à Pachamama », déclare Valicha.
L’histoire de Valicha fait écho à l’œuvre de José María Arguedas, éminent écrivain et anthropologue péruvien, qui a mis en lumière la richesse culturelle des peuples andins et leur résilience face à l’adversité. Dans son œuvre « Los ríos profundos », Arguedas a écrit : « La terre, comme une âme plus grande, m’a recueillie et m’a donné de la force ». Ce sentiment reflète parfaitement l’expérience de Valicha, qui a trouvé dans son environnement naturel et sa culture une source de force et de guérison.
Valicha comme agent de changement
Le changement chez Valicha n’est pas seulement interne, il est aussi externe. Elle utilise maintenant sa photographie pour sensibiliser les autres à l’importance de la conservation de l’environnement et du respect de la culture quechua. À travers ses images et celles de ses camarades de l’Apu Escuela, elle transmet des messages forts sur la beauté de la nature et la richesse de son patrimoine culturel.
Le témoignage de Valicha est un exemple puissant de la façon dont l’accent mis sur la cohésion sociale, qui inspire le concept du « territoire comme école », peut transformer des vies.
En 2022 et 2023, Terre des Hommes Suisse et ses partenaires ont mené des projets pilotes pour affiner et valider l’efficacité de cette méthodologie innovante. Ils sont désormais en mesure de mettre à l’échelle cette approche pédagogique qui cherche à promouvoir la connexion de l’école avec la communauté, offrant une approche globale et transformatrice qui bénéficie à l’autonomisation des adolescents et renforce le tissu social de leurs communautés.