À une heure de Cochabamba, troisième ville du pays, le Valle Alto regorge de petites villes où il semble faire bon vivre. Rues pavées entourant la place centrale, palmiers fièrement dressés, parterres fleuris, statues des gloires locales, alignements de bancs occupés et flâneurs de tous âges goûtant l’agréable chaleur du soleil vertical de l’hiver.
Passé le quadrilatère central, l’asphalte disparaît pour laisser place à une poussière jaune qui tourbillonne et se colle à la peau : les brèves pluies de l’été 2016 (janvier à mars) se sont fait attendre plus de six semaines, ruinant les récoltes, comme l’année précédente et celle d’avant encore. La surface de la vaste lagune, source d’eau et d’irrigation de la région, s’est réduite de deux tiers. L’exode rural se poursuit alors que de nouveaux arrivants de zones plus sinistrées encore s’installent à la sauvette, en périphérie de la ville : communautés désagrégées, familles éclatées, autorités désemparées, intérêts contraires et luttes pour la subsistance. Les ingrédients d’une cuisine toxique et son corollaire, la violence, sont réunis, touchant en tout premier lieu les plus jeunes et vulnérables, de fait 50 % de la population.
Rencontres avec les jeunes
La journée de visite, pilotée par notre partenaire Ayni, sera intense et couvrira presque tous ses axes de travail: à Tolata, réunion avec le comité interinstitutionnel pour l’enfance, les autorités municipales et le conseil municipal d’enfants; à Cliza, présentation aux autorités locales, par les jeunes représentants des écoles et collèges, de leurs demandes et besoins; à San Benito, conclusion de l’atelier hebdomadaire de travail et recherche de solutions, par une soixantaine de collégien-ne-s élu-e-s par leurs camarades, sur des problématiques de leur choix (violence, organisation et incidence, santé et sport) ; à Arbieto, rencontre au collège central avec les étudiante-s, professeur-e-s, autorités, parents ; et enfin, à Tarata, présentation par de jeunes enfants à leurs camarades d’école d’un événement de sensibilisation à la violence sexuelle, se terminant par la distribution d’un feuillet sur leurs droits et leur protection.
Leçons apprises
Qu’avons-nous appris lors de ce marathon de débats, présentations officielles et moments d’échanges informels?
Que la nuit, qui tombe invariablement à 18h sous cette latitude, est peuplée de dangers. Aussi les enfants qui rentrent de l’école ou d’une course pour leurs parents réclamentils au moins un éclairage public et l’installation de feux rouges.
Que l’école et son chemin ne sont pas exempts de violence ou d’insultes gratuites : harcèlement des pairs, de plus en plus souvent organisés en pandillas ; indifférence de la majorité des professeur-e-s, quand ils ne sont pas eux-mêmes sources de méthodes rigides, de remarques humiliantes, de violences verbales et physiques pouvant aller, dans les cas extrêmes, jusqu’à l’abus sexuel. Alors les enfants réclament des bus de ramassage scolaire, une plus grande implication des enseignant-e-s, du respect et de la sécurité.
Que les conditions de vie et la pauvreté, les ravages de l’alcool y compris chez les jeunes, la démission des familles et l’abandon (et/ou la violence) affectif et physique où sont plongés les enfants, la difficulté à communiquer et le manque de perspectives tissent la toile de fond sur laquelle prospère une loi brutale et inique : celle de la force. C’est pourquoi les jeunes demandent la création d’espaces de sécurité – bibliothèques, parcs de jeux – et le financement d’une campagne d’affichage sur les murs de la ville pour dénoncer la violence sexuelle, proposant d’y contribuer par l’organisation d’un concours de graffitis.
Que la justice est inefficace, lente ; que l’impunité est courante et bien connue ; que la dénonciation de cas d’abus sexuels, encore taboue, est très rare et complexe : réputation entachée, crainte de représailles, rotation quasi annuelle du personnel alors qu’instaurer la confiance est essentiel et nécessite du temps. Aussi les jeunes réclament-ils la construction de refuges municipaux permanents destinés à accueillir les victimes de violence et les orphelins. Si nous avons entendu et vécu tout ceci, c’est qu’Ayni travaille directement avec les enfants et les adolescent-e-s, les incitant à prendre la parole et proposer des initiatives en faveur de leurs droits.
Par Sylvie Dugeay, Terre des Hommes Suisse