Un «homme nouveau» pour abolir l’esclavage moderne en Haïti

Le Père Miguel Jean-Baptiste combat pour les droits des enfants restaveks en Haïti. Partenaire de Terre des Hommes Suisse depuis 25 ans.

Le Père Miguel Jean-Baptiste combat pour les droits des enfants restaveks en Haïti. Partenaire de Terre des Hommes Suisse depuis 25 ans, il témoigne à Genève, cinq ans après le séisme meurtrier qui a ravagé son pays.

«C’est l’histoire d’une petite graine que l’on jette en terre… ça n’a l’air de rien, et puis ça devient quelque chose d’extraordinaire!» Le Père Miguel Jean-Baptiste évoque de sa voix douce la parabole du grain de moutarde pour raconter l’histoire du Foyer Maurice Sixto (FMS). Cette institution scolarise tous les après-midis à Port-au-Prince des enfants placés comme domestiques, les restaveks. Elle leur offre aussi un espace de protection, d’écoute et de loisirs. Terre des Hommes Suisse soutient ce projet depuis sa création, il y a 25 ans.

Des restaveks, ou enfants en domesticité, il y en aurait entre 100 000 et 300 000 en Haïti. Issus de la campagne, des filles en majorité, ils sont confiés à des familles de la ville par leurs parents qui espèrent pour eux une vie meilleure. Mais la réalité est tout autre. Le plus souvent exploités et maltraités, ces enfants, astreints à des corvées ménagères du matin au soir, mal nourris, privés d’école, deviennent peu à peu invisibles, déshumanisés, loin de l’affection de leur vraie famille.

L’estime de soi pour des enfants
«Ces jeunes ont besoin de réparation pour les attacher à la vie et leur redonner une estime d’eux-mêmes», explique Jivenel Napoléon, coordinateur de projets au FMS. L’institution tente de rendre à ces jeunes employés domestiques leur enfance volée. Elle leur offre tendresse et réconfort ainsi qu’un repas chaud et un verre de lait, un «luxe» pour beaucoup en Haïti. Les enfants y suivent une scolarité ou une formation professionnelle de qualité, adaptée à leurs horaires de travail. Ils bénéficient également d’un encadrement psychosocial rassurant, pour faire face à leurs conditions de vie et surpasser les traumatismes subis (physiques, psychologiques et parfois sexuels). Le centre organise des activités manuelles, artistiques et sportives, et n’oublie pas de fêter l’anniversaire de chacun!

Changement des mentalités
Le coordinateur souligne l’importance du travail effectué auprès des «familles-patronnes». Haïti a signé la Convention relative aux droits de l’enfant, mais pas encore celle sur les pires formes de travail des enfants. Pour le FMS, le renforcement du cadre légal n’est cependant pas suffisant. «Ce n’est pas par manque de lois que les enfants sont maltraités, estime Jivenel Napoléon, mais c’est dans la mentalité des gens d’être indifférents à leur sort et d’appliquer des mauvais traitements.»

«Le monde a besoin d’hommes nouveaux, affirme le Père Miguel, des hommes qui renoncent à une tradition rétrograde, qu’elle soit religieuse, sociale ou historique.» Dans son livre Moi, le Père des sans famille , il décrit cet «homme nouveau» et raconte son combat pour les enfants en domesticité, qui prend sa source au fond de ses tripes: son propre père avait été placé comme domestique après l’exécution, pour des motifs politiques, de son grand- père. Et lui-même a été envoyé très jeune dans une congrégation religieuse où sa famille lui manquait terriblement. En œuvrant pour les jeunes restaveks, c’est aussi son histoire et celle de sa famille qu’il tente de réparer.

Le FMS a tenu ses promesses en dépit des difficultés, y compris le séisme meurtrier qui, en 2010, a durement touché le foyer. Il accueille aujourd’hui 300 enfants et pourra en recevoir jusqu’à 450 dans ses nouveaux locaux, reconstruits grâce à la coopération internationale. La qualité de l’enseignement, dispensé jusqu’à la 6e  primaire, a payé: 14 jeunes sur 15 ont terminé avec succès le premier cycle du primaire en  2013 et 2014, un taux plus élevé que dans les autres écoles du pays.

Le Père Miguel a reçu plusieurs prix pour son travail, dont à deux reprises le Prix des droits de l’homme de la République française, le premier sur la recommandation de Terre des Hommes Suisse. Il espère augmenter ses eff ectifs pour scolariser les jeunes employés domestiques jusqu’à la 9e  année et établir des antennes dans les autres districts; cela permettrait de relayer son message de sensibilisation à travers tout le pays. «La petite graine continuera de grandir au bénéfice de milliers d’enfants, assure-t-il. Pas seulement en Haïti, mais dans le monde entier, ils sont l’avenir d’un pays.»

Encart
Le Foyer Maurice Sixto (FMS) est le plus ancien partenaire de Terre des Hommes Suisse en Haïti. Son fondateur, le Père Miguel Jean-Baptiste, connaît bien la Suisse, car il a étudié la théologie à Fribourg. Accompagné de son adjoint, Jivenel Napoléon, il a profité de la tournée de promotion du livre Moi, le Père des sans famille, publié en février 2015  chez Flammarion, pour nous rendre visite à Genève.

Comment les enfants restaveks ont-ils accès au FMS?
Notre Comité d’appui, de suivi et d’encadrement (CASE) s’occupe de l’admission des enfants. D’une part, certains sont directement amenés lors de l’ouverture des inscriptions: dans ce cas, le CASE doit déterminer s’ils sont effectivement en domesticité. D’autre part, nos collaborateurs du CASE vont dans la rue pour détecter les jeunes en domesticité, celle ou celui qui porte un poids visiblement trop lourd ou qui n’est pas à l’école alors que les autres y sont…

Lors de vos visites auprès des «familles- patronnes», comment êtes-vous reçus?
Nous visitons régulièrement le domicile de l’enfant, ou au cas par cas, par exemple quand nous découvrons une cicatrice douteuse. Nous questionnons, dialoguons. Nous évitons de juger: la «famille- patronne» n’est pas foncièrement méchante, mais elle est en proie à une mentalité qui vient de loin, peut-être d’aussi loin que l’esclavage. Dans le temps, c’était difficile, les familles d’accueil nous voyaient comme la «bête noire». Aujourd’hui, il y a plus d’ouverture, elles viennent à notre rencontre et se laissent exposer à nos messages de sensibilisation.

Quels changements constatez-vous chez les enfants qui fréquentent le foyer?
Après quelques semaines déjà, nous voyons un changement dans leur comportement, surtout sur le plan de l’estime de soi. Un enfant restavek  est stigmatisé car il est souvent sale, pieds nus, mal coiffé. Lorsque vous entrez dans une maison où il y a un ou deux jeunes en domesticité, vous ne les voyez pas, ils sont silencieux, invisibles. Au FMS, les enfants portent un uniforme comme les autres écoliers. Nous leur apprenons aussi à être là et à regarder les gens dans les yeux. Le foyer est un centre vivant et animé où les jeunes sont réellement présents.

Article rédigé par Elena Sartorius et tiré du journal Terre des Hommes Suisse n°118, juin 2015
Ce projet reçoit le soutien de la Fondation Air France.