Compte rendu de la table ronde sur le revers de l’or

Présente tout le mois d’octobre sur le quai Wilson, l’exposition « Le revers de l’or. Droits de l’enfant en zone minière » a résonné encore plus fort lors de l’édition 2018 de la Marche de l’espoir. Les enjeux de l’or au Pérou et la situation alarmante dans laquelle se trouve la population de la région de Madre de Dios nécessitent une prise de conscience collective qui inclut tous les acteurs de l’univers aurifère.

C’est ainsi que le jeudi 18 octobre 2018 s’est tenue une table ronde à la Maison de la Paix à Genève. Organisé par Terre des Hommes Suisse, ce débat avait pour objectif de soulever les questions fondamentales liées à l’orpaillage en Amazonie péruvienne grâce aux interventions d’experts d’horizons variés, gouvernement suisse, ONG, experts thématiques ou entreprise de raffinage d’or.

La table ronde démarre avec un rappel vidéo du contexte de l’orpaillage dans la région de Madre de Dios. Happés par l’espoir de conditions de vie meilleures, des péruviens fuient la précarité des Andes et se retrouvent pris au piège d’un orpaillage hors de contrôle. Nils Krauer, expert mandaté par Terre des Hommes Suisse et membre de la Better Gold Initiative, nous fait entrer dans l’univers difficile des sites d’orpaillages de la région de Madre de Dios. Il rappelle la complexité de la situation. L’extraction aurifère occasionne des drames humains et environnementaux, mais elle est aussi souvent la seule alternative à une précarité extrême. Comment améliorer les conditions d’extraction? Et quel est le rôle de la Suisse face à des situations si complexes et alarmantes? Joaillerie, industrie horlogère, électronique, une fois raffiné et travaillé, l’or se fait chef d’œuvre des plus grands artisans. Mais à l’origine de la chaîne de la production, les droits humains sont mis à rude épreuve. Comment cette chaîne de production de l’or bafoue-t-elle les droits humains à de nombreuses reprises? A quel instant la diligence des entreprises de raffinage intervient-elle et dans quelle mesure

C’est autour de ces questions que les échanges vont se construire et se développer.

Tout d’abord, comment faire la distinction entre l’extraction légale et illégale de l’or?

Pour bien comprendre la situation et le contexte de l’orpaillage, il est important de faire la distinction entre deux types de mines, les mines à large échelle et les mines plus petites que l’on qualifie d’artisanales. Il faut ensuite également faire la différence entre les mines légales qui sont aux normes, les mines informelles qui remplissent seulement en partie les exigences et les mines illégales qui se développent, quant à elles, dans des centres complètement interdits, par exemple des aires protégées.

Il faut savoir que le Pérou est le 6e producteur mondial d’or et qu’il joue un rôle très important dans les quantités du métal précieux qui arrivent en Suisse. Or, 15 % de l’or produit au Pérou proviendrait de mines illégales! La Suisse a donc un grand rôle à jouer dans le contrôle de l’origine de l’or qu’elle importe, sur ses conditions d’extraction ainsi que dans la protection sur place des populations.

Quelles sont les actions mises en place par Terre des Hommes Suisse?

Séverine Ramis, responsable du Programme International à Terre des Hommes Suisse, explique que l’association, en partenariat avec plusieurs organisations locales, effectue, dans les Andes, un travail de prévention et de soutien auprès des familles et des enfants pour qu’ils évitent une migration à risque vers les zones minières d’Amazonie, ce qui permet de réduire les risques de traite et d’exploitation des plus jeunes. Des actions sont également réalisées dans la région même du Madre de Dios pour promouvoir des alternatives à l’orpaillage telles que l’agriculture biologique, notamment la production de fèves de cacao, et la création de potagers écologiques. L’association déploie également des campagnes de prévention, sur le plan local comme national, auprès des enfants et plus particulièrement des jeunes filles qui peuvent être victimes d’exploitation sexuelle dans les bars des camps miniers.

Et comment la Suisse agit-elle à l’échelle nationale?

Frédéric Chesnais est conseiller politique dans la section Politique des droits de l’homme, division Sécurité humaine, du Département Fédéral des Affaires Etrangères. Il explique le positionnement politique de la Suisse par rapport au processus d’importation de l’or et au respect des principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme des Nations Unies. Comme mentionné précédemment, le raffinage de l’or est une activité très importante pour la Suisse et il est donc important de veiller à ce qu’elle respecte les droits humains sur toute la chaîne de production. Le pays a le devoir de s’en assurer et de les protéger, ainsi que de mettre en place des systèmes de réparation pour les personnes lésées. Un processus de cartographie de l’origine de l’or importé en Suisse et une vérification de la situation concrète des mines desquelles provient l’or importé est en cours. Un processus lent car complexe, mais nécessaire. Les résultats devraient être rendus publics sous peu mais on peut d’ores et déjà signaler que les droits humains sont mis mal à de nombreuses reprises et que la Suisse doit aller plus loin dans son travail de protection des populations sur place.

Mais quelle est la position des entreprises suisses de raffinage?

Virginie Bahon est directrice des affaires d’entreprise et de la communication chez Valcambi, entreprise suisse de raffinage d’or. Sa prise de parole est attendue avec impatience. Elle explique que l’industrie du raffinage de l’or a conscience des problèmes liés à son extraction. Pour rappel, le minerai arrive directement depuis les mines à Valcambi où il est raffiné pour produire un or pur qui sera ensuite vendu à des joailliers, des fabricants horlogers ou pour de l’électronique. Valcambi effectue un vaste travail de relation avec les mines artisanales en partenariat avec la Better Gold Initiative et les ONG afin de vérifier l’origine de l’or importé et s’assurer qu’il provient de mines légales. Le développement de processus de vérification des critères avant d’entrer dans une relation commerciale fait partie des objectifs de l’entreprise, tout comme celui de promouvoir des pratiques respectueuses des droits humains. Virginie Bahon explique enfin que des vérifications sont effectuées sur le terrain en amont mais également régulièrement sous forme de spot check.

Une deuxième vidéo est alors projetée qui fait la transition vers un problème grave rencontré dans les collectivités minières de la région de Madre de Dios: l’exploitation sexuelle de jeunes filles dans ce que l’on appelle les prostibars.

Quelle est l’impact sur les jeunes filles qui arrivent emplies d’espoir sur les site miniers? Comment arrivent-elles ici?

C’est Carmen Barrantes, consultante pour Terre des Hommes Suisse au Pérou, mais aussi avocate, journaliste et photographe, qui raconte le quotidien de ces jeunes filles qui arrivent dans la région avec l’espoir de trouver un travail et d’avoir de meilleures conditions de vie. Une enquête de fond a été menée durant 9 mois sur place pour savoir comment ces jeunes filles se sont retrouvées là et quelle est leur situation. Cette enquête a été longue mais productive. Il faut noter que, pour des raisons de sécurité, très peu d’ONG restent sur ces sites assez longtemps pour approfondir le sujet. Rares sont les organisations qui vont également s’informer à la source du problème en se rendant dans les villages d’origine de ces jeunes filles. Ces villages sont souvent très loin et isolés, uniquement accessibles après de longues heures de marche. Depuis 3 ans, Terre des Hommes Suisse soutient trois organisations qui sensibilisent les familles et les jeunes filles de communautés Quechua dans les Andes. En quête de travail, les jeunes filles idéalisent souvent les sites miniers. Elles y trouvent  des repas variés, des températures clémentes et l’accès à un certain pouvoir d’achat, loin des contrées reculées et des rudes conditions climatiques de leurs villages d’origine. Mais elles se voient prises au piège de l’exploitation sexuelle dès leur arrivée. Souvent, les trafics de jeunes filles sont gérés par des femmes, elles-mêmes victimes par le passé, qui répliquent ce qu’elles ont subi. Il existe peu de retour en arrière pour ces jeunes filles, tant les alternatives sont difficiles et rare. D’où l’importance de réaliser un travail de prévention dans les communautés andines les plus précaires ainsi que des actions de plaidoyer auprès des autorités péruviennes.

Carmen Barrantes nous fait part de l’exemple d’une jeune fille qui rêvait de rejoindre Madre de Dios mais qui a changé d’option et été soutenue dans un autre rêve. Elle participe désormais à une radio communautaire et étudie la mode. Cette histoire permet de croire en la réussite des systèmes de prévention et de soutien scolaire mis en place.

Un mot de la fin?

C’est Karl Hanson, Directeur adjoint du centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève qui clôture cette table ronde en soulignant un point très intéressant. Selon lui, il est difficile de se positionner par rapport au travail des enfants d’un point de vue purement occidental. Abolir ou réglementer? Au fond, que souhaitent ces enfants? De leur vision, le travail n’est-il pas au contraire un symbole de revenus et de conditions de vie améliorées? Il est toutefois une priorité de veiller à ce que l’enfant, s’il est amené à travailler, puisse le faire sans que ses droits fondamentaux ne soient entravés, et puisse notamment avoir accès à l’éducation.

Place aux questions-réponses

Quelle quantité d’or est raffinée annuellement par Valcambi?

La réponse restera confidentielle. Virginie Bahon précise que, peu importe cette quantité, l’important est le travail fourni par l’entreprise pour le contrôle, la formalisation, et la légalisation des processus d’extraction.

La Better Gold Initiative représente de petites quantités d’or, comment étendre son action?

Il faut bien commencer quelque part et cela permet déjà d’obtenir une tracabilité, c’est important même sur une petite quantité d’or.

Existe-t-il un label de production équitable de l’or?

Oui, il existe les labels Fairtrade de Max Havelaar et Fairmined.

Agit-on auprès du gouvernement péruvien?

Oui, Terre des Hommes Suisse effectue un travail important de plaidoyer sur place et vient  d’obtenir un résultat important : l’engagement de la vice-présidente du Pérou de doubler le budget pour lutter contre la traite. Cela ne va pas tout solutionner, mais il s’agit déjà d’un pas en avant . Terre des Hommes Suisse est très active sur le plan national au Pérou. Elle est une interlocutrice reconnue et régulière de l’État sur les questions de traite et d’exploitation des enfants et des jeunes, en particulier dans les zones minières.

La table ronde touche à sa fin mais les questions se poursuivent en petit comité après le débat. Difficile de conclure, tellement le sujet soulève de problématiques et de questionnements. L’objectif premier de creuser le sujet avec des personnes d’horizons différents et devant un public intéressé est atteint.

Charlotte Pianeta, collaboratrice Terre des Hommes Suisse, octobre 2018