Des femmes andines s’émancipent

Dans les Andes péruviennes, des femmes organisées au sein d’une coopérative laitière génèrent des revenus qui leur permettent de mieux nourrir et protéger leurs enfants.

Dans les Andes péruviennes, à près de 4000 mètres d’altitude, des femmes organisées au sein d’une coopérative laitière génèrent des revenus qui leur permettent de mieux nourrir et protéger leurs enfants.

Dès notre arrivée dans les ruelles de San José de Quero, le vocable «mujer andina» (femme andine) prend tout son sens: des femmes vêtues de leurs habits traditionnels, tous âges confondus, donnent des coups de pioche dans le sol dur, ramassent les gravats à la pelle et portent des sacs de pierres sur leur dos, en plus de leur bébé, tout en conservant leur sourire et leur énergie. Elles se sont regroupées aujourd’hui pour avancer dans la construction de leur nouveau local de production de fromages et autres dérivés lactés afin de limiter les frais de main-d’œuvre.

Parmi elles se trouve Carmen, une femme passionnée et passionnante. Mère de dix enfants et coquette avec ses deux magnifiques tresses, son chapeau et un sourire enjôleur. On ne saurait lui donner un âge. Elle est membre de la coopérative depuis ses débuts.

San José de Quero est une petite bourgade rurale de 7000 habitants située à 3856 mètres d’altitude, au pied de la cordillère Huaytapayana. La principale activité de la population de ce district est l’élevage de bovins et la production de produits dérivés du lait. En complément se pratique une agriculture familiale. Mais en raison de la rudesse du climat – froid et insuffisance de pluie – les revenus générés ne suffisent pas à couvrir les besoins des familles qui vivent dans ces conditions difficiles.

La pauvreté extrême et l’absence d’alternatives pour faire face aux nécessités immédiates et quotidiennes (accès aux soins de santé, à l’éducation et à une alimentation équilibrée) les poussent à migrer vers les villes, en particulier la capitale Lima. Leur ingénuité en fait alors des proies faciles pour les divers dangers: exploitation laborale ou réseaux de traite. (Lire l’article sur la question de la traite au Pérou dans le journal TdH n°125)

Améliorer les conditions de vie dans les villages
Pour permettre à ces communautés rurales de rester dans cette région de Huancayo, il faut améliorer leurs conditions de vie – par l’augmentation de leurs revenus – et promouvoir le respect de leurs droits. Dans ce but, Terre des Hommes Suisse travaille en partenariat avec Mujer Andina, une coopérative laitière créée par des femmes en 2012 et qui regroupe aujourd’hui plus de 160 villageoises. Pour éviter les intermédiaires, la coopérative propose de collecter, transformer et commercialiser elle-même le lait et ses dérivés tels que les yogourts et le fromage affiné. Le lait est un produit à haute valeur ajoutée: la coopérative peut ainsi payer ses membres 1,5 soles (45 centimes de francs suisses) le litre de lait, au lieu de 1,2 soles sur le marché. À ce jour, la coopérative fabrique 100 kilos de fromage par jour.

Grâce aux conseils et aux formations donnés par la coopérative, Carmen a acquis des connaissances pour améliorer le rendement du lait de ses quatre vaches. Il est déjà passé de 4 à 6 litres quotidien par vache et devrait atteindre les 10 litres grâce à des soins adaptés, un meilleur fourrage, des vaccinations, des étables. Elle a également amélioré son habitat. En effet, avec l’aide de son mari, elle a construit une serre pour y cultiver quelques légumes (aji – piment doux, rocotto – piment fort, ou épinards qui ne sont pas produits traditionnellement mais permettent de lutter contre l’anémie, en plus du maïs, de la maca et diverses pommes de terre) et des fruits (grenadelle, très sucrée et vitaminée, physallis, figues ou raisin), ce qui lui permet de diversifier son alimentation et celle de ses enfants. Sur le plan des conditions sanitaires, elle a accommodé différents espaces en toilettes sèches, poulailler, enclos pour l’élevage de cochons d’Inde, et elle a installé une «hotte» artisanale dans sa cuisine pour éviter la diffusion de fumée nocive. Au mur est accroché un tableau qui indique, pour chaque jour de la semaine, la répartition des tâches ménagères entre les différents membres de la famille.

L’impact direct sur les enfants
En effet, un autre objectif développé par la coopérative est de promouvoir l’équité de genre et de diminuer les violences, tant physiques que psychologiques, au sein des familles, notamment contre les enfants, au profit d’une approche qui respecte leurs droits. Carmen doit d’ailleurs se rendre à une réunion pour convaincre d’autres femmes de faire valoir leurs droits et de devenir membres de Mujer Andina. Des projets sociaux et communautaires ont également pu être mis en place, au bénéfice des enfants: activités créatrices (peinture, bricolages), récréatrices (jeux, sport) et formatrices (connaissances de leurs droits, participation à des émissions radio dans la mairie du village).
Carmen symbolise le succès de l’un des plus grands défis actuel du Pérou: l’émancipation et l’autonomie de la femme andine, car elle est un levier-clé dans le processus de changement que vit le pays.

Article rédigé par Hélène Stadelmann, tiré du journal Terre des Hommes Suisse n°128, novembre 2017