La Suisse et le Burkina Faso au bout du fil

Dans le cadre de la campagne Solidarcomm, Terre des Hommes Suisse propose des animations aux écoles. En décembre 2017, des élèves de Meyrin-Village (GE) ont pu démonter de vieux portables récupérés et faire le lien avec la traite des enfants. 

Afin de sensibiliser les enfants, ici à Genève, sur la traite des enfants dans les mines au Burkina Faso, Terre des Hommes Suisse utilise un fil conducteur original. Un fil non pas composé de cuivre, comme tous nos fils électriques, mais plutôt un fil en or. Ce métal que l’on croit si rare et précieux se retrouve en petite quantité dans tous les appareils électroniques et notamment dans nos téléphones portables. Très bon conducteur et peu altérable, il est privilégié par les fabricants dans les zones de contact avec la carte SIM ou la batterie.

Ateliers avec les élèves
Les élèves sont toujours ravis de démonter les appareils, récupérés dans le cadre de la collecte de téléphones usagés (voir encadré), puis stupéfaits par la présence d’or. Avec 0.02 à 0.04 g d’or par téléphone, cela ne représente en moyenne qu’un franc suisse. Cependant, avec 100, 1000 ou encore 10 000 téléphones, le recyclage devient pertinent. Et les appareils contiennent d’autres métaux précieux. Avec un taux de recyclage des déchets urbains d’environ 50%, la Suisse se place parmi les pays les plus avancés en la matière. Pourtant, seuls 20% des téléphones portables sont recyclés. On estime que huit millions de téléphones portables dorment dans les tiroirs, conservés «au cas où».

Grâce à cette première activité de démontage du téléphone, les élèves perçoivent cet appareil si commun sous un autre angle. Tout l’univers du portable est ensuite abordé de façon interactive – sa fabrication, son utilisation, son recyclage et sa fin de vie – à partir d’un jeu de l’oie spécialement conçu pour cette animation.

Des enfants exploités se cachent derrière nos portables
Nos téléphones portables contiennent donc de l’or. Ainsi, plus nous en consommons – en Suisse, nous changeons de téléphone en moyenne tous les 12 à 18 mois –, plus nous utilisons de l’or et d’autres métaux. Ces derniers, comme le niobium et le tantale contenus dans les condensateurs, sont parfois presque aussi rares que l’or et sont issus de zones de conflit. Leur extraction a des conséquences sur l’environnement et la vie de milliers d’enfants. C’est cette prise de conscience que Terre des Hommes Suisse transmet aux jeunes. Non pas dans le but de les culpabiliser, mais dans celui de les rendre responsables et engagés.

Certains élèves ont des notions sur les pays et les techniques d’extraction de l’or. À l’occasion de la Marche de l’espoir en 2015, les élèves avaient été sensibilisés à la réalité d’enfants burkinabè qui travaillent dans les mines. Nombre d’entre eux se souviennent des techniques artisanales d’extraction à la pioche dans des galeries à peine plus larges qu’une bouche d’égout, du broyage essentiellement manuel des roches, de la séparation des poussières d’or à l’aide d’une rampe de lavage et enfin de l’utilisation dangereuse du mercure pour la purification finale.

Avec une production d’environ 40 tonnes, le Burkina Faso se place au 4e rang des pays producteurs en Afrique. L’extraction de l’or est devenue la première source de devises du pays, détrônant ainsi le coton, «l’or blanc». Outre une dizaine de mines d’or exploitées par des entreprises, les autorités estiment à un millier les sites d’extraction artisanale qui emploieraient près d’un million de personnes, dont des enfants. Ainsi, près de 5% de la population du Burkina Faso vivrait de l’orpaillage.

Afin de décrire le quotidien de ces jeunes mineurs aux élèves, les animateurs de Terre des Hommes Suisse racontent la vie de Salfo, un garçon de 11 ans qui habite le village de Gounghin, dans la région de Kaya. Son récit traite des dangers autour des mines, des difficultés de scolarisation, des rêves de formations pour accéder à un travail moins pénible et dangereux, et aussi plus stable, de la sensibilisation des parents et des autorités locales. Il se base sur les visites de terrain menées par les équipes de Terre des Hommes Suisse et sur les témoignages recueillis sur place.

La situation des enfants travailleurs dans les mines au Burkina Faso
Les enfants mineurs travaillent dans toute la chaîne de production. Ils exercent des travaux dangereux, c’est-à-dire «des travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s’exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou la moralité de l’enfant» (art.3.d de la convention 182 de l’OIT). Il est là encore difficile d’estimer le nombre d’enfants victimes puisque déjà nombre d’entre eux ne possèdent même pas d’acte de naissance et ne sont donc «comptabilisés» nulle part. Une étude en 2011, menée conjointement par le Ministère de l’Action Sociale et de la Solidarité Nationale (MASSN) du Burkina Faso et l’UNICEF, a permis d’enquêter auprès de 55 330 Burkinabé travaillant sur des sites d’orpaillage ou des carrières artisanales. Cette étude révèle que 35.7% des personnes qui travaillaient sur ces sites d’orpaillage étaient des enfants âgées de 6 à 17 ans. Un enfant sur deux habite sur le site, dans des cabanes de fortune, et 10% habitent les «villages» riverains qui souvent se confondent avec les sites, avec tous les dangers que cela comporte. Ce sont tous des enfants en âge d’être scolarisés, mais près de 61% d’entre eux n’ont jamais été à l’école (pour comparaison, ce chiffre est de 36,8% à l’échelle nationale); et moins de 1% des enfants scolarisés ont atteint le secondaire (pour comparaison, 18,5% des enfants vont au secondaire à l’échelle nationale). (Chiffres Unicef)

Souvent, les enfants scolarisés fréquentent tout d’abord les sites d’orpaillage de manière sporadique, puis y retournent par intermittence les jours de repos ou les jours fériés, enfin finissent par y demeurer régulièrement voire définitivement. Les plus jeunes sont affectés au vannage (détacher les différents éléments de la roche par l’action de l’eau) et au lavage, tandis que les garçons de 16-17 ans sont envoyés dans les galeries pour creuser ou sont chargés de remonter des galeries les roches extraites. Les enfants s’occupent également du concassage du minerai, qui engendre une grande quantité de poussière siliceuse. L’inhalation fréquente et prolongée des poussières minérales provoque des atteintes pulmonaires et respiratoires parfois sévères comme des cancers ou des fibroses. Plus de la moitié des enfants travaillent entre 7 et 12h par jour. Un enfant orpailleur sur quatre a déclaré lors de l’enquête avoir déjà eu un accident dans l’exercice du travail, essentiellement des plaies, et avoir recouru à l’automédication. Les enfants de 6-11 ans déclarent travailler pour leurs parents, alors que les plus âgés le font pour un employeur. La grande majorité des enfants interrogés aimerait suivre des formations pour accéder à un travail moins pénible et dangereux, et aussi plus stable. Le choix des filles porte sur la couture, la coiffure, le tissage ou la teinture, tandis que les garçons optent pour la mécanique, la soudure, l’électricité et l’élevage.

Après la description de la vie de Salfo, les élèves sont invités à relire une sélection de quelques droits de l’enfant. Ils sont amenés à se questionner sur le respect ou la violation de ces droits pour Salfo. Même si le Burkina Faso a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant en août 1990 et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant en juin 1992, le bilan est unanime: la majorité des droits de l’enfant ne sont pas respectés pour ces jeunes mineurs. 

Que faire? L’action Solidarcomm
Lors de l’animation, la question se pose: que pouvons-nous faire, ici à Genève, en tant que consommateurs de téléphones portables? Après un instant de réflexion, des idées émergent de la part des élèves: «Si on participait à des actions solidaires pour leur envoyer de l’argent?», «Si on achetait moins souvent des téléphones?», «Si on réparait nos téléphones cassés?», «Si on donnait nos anciens téléphones?» et «Si on recyclait nos vieux téléphones pour récupérer l’or et les autres métaux?».

En 2003, Terre des Hommes Suisse s’est posé ces mêmes questions et réponses. Dans le cadre de son action Solidarcomm, l’association collecte des téléphones portables usagés auprès du grand public, des entreprises et des collectivités publiques. Près de 400’000 téléphones ont pu être récoltés durant ces quinze années. Suite aux interventions dans l’ensemble des classes de l’école de Meyrin-Village, les élèves vont collecter les téléphones usagés dans leur entourage et les déposer dans l’urne mise à leur disposition. Ils seront ensuite triés, testés et reconditionnés par PRO, une entreprise sociale à but non lucratif qui offre un emploi à des personnes en situation de handicap. Puis ils seront vendus en Suisse et sur le marché international, ou recyclés. Les bénéfices serviront à financer des projets de Terre des Hommes Suisse au Burkina Faso. Ces derniers visent, entre autres, à sensibiliser les Burkinabè aux dangers de l’orpaillage, à offrir des formations professionnelles aux jeunes et à créer des activités génératrices de revenu pour les familles comme alternatives à l’orpaillage.

Article rédigé par Emilie Delpech, paru en version courte dans le journal Terre des Hommes Suisse n°129, janvier 2018